«Y A-T-IL un virologue dans la salle?»: c'est en ces termes que Willy Rozenbaum s'est adressé à la communauté pasteurienne pour la première fois en 1982 à l'occasion d'une conférence sur un nouveau syndrome d'immunodéficience acquise récemment décrit aux États-Unis. Convaincu que la maladie était en rapport avec un virus, il venait lancer un appel officiel aux chercheurs de l'Institut Pasteur. Françoise Brun-Vézinet et Christine Rouzioux, qui travaillaient à l'hôpital Claude-Bernard avec Willy Rozenbaum, imaginaient, elles aussi, que l'origine de la maladie pouvait être virale. Pourtant, toutes les pistes explorées jusque-là s'étaient soldées par un échec. «Il fallait donc un certain courage pour accepter de suivre Willy Rozenbaum dans sa quête de l'hypothétique virus inconnu», expliquait au « Quotidien » Françoise Barré-Sinoussi à l'occasion du 25e anniversaire de la publication princeps de « Science ». C'est grâce à l'implication des virologues de Claude-Bernard que Jean-Claude Chermann, avec lequel Françoise Barré-Sinoussi travaillait à l'époque pour le compte de l'INSERM, et Luc Montagnier ont accepté de participer à ce travail. Il faut dire qu'ils étaient déjà impliqués dans un domaine novateur : celui de l'interaction rétrovirus-cancers. Ils disposaient aussi de données prouvant que certains rétrovirus pouvaient être à l'origine d'une immunodéficience chez le chat.
En 1982, l'Institut Pasteur accepte de se lancer dans l'aventure. En janvier 1983, Willy Rozenbaum (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, service du Pr Marc Gentillini) fait parvenir par le biais de Françoise Brun-Vézinet à Jean-Claude Chermann et à Françoise Barré-Sinoussi, en accord avec Luc Montagnier, un fragment ganglionnaire d'un jeune homme homosexuel voyageant fréquemment aux États-Unis et qui ne présentait pas de signes cliniques, à l'exception de ganglions périphériques (lymphadénopathie généralisée qualifiée à l'époque de stade présida).
Ganglion disséqué et mis en culture.
Luc Montagnier, après avoir disséqué le ganglion qui lui avait été confié, l'a mis en culture. Pendant les trois semaines qui ont suivi, Jean-Claude Chermann et Françoise Barré-Sinoussi ont analysé régulièrement l'activité reverse transcriptase du surnageant des cultures afin de déterminer si la présence d'un rétrovirus était possible. Une telle activité fut détectée, mais elle s'associait systématiquement à une mort cellulaire. D'où l'idée d'impliquer les équipes du centre de transfusion de Pasteur afin de récupérer des globules blancs de donneurs, de les mettre en culture et d'y injecter le surnageant des cultures. L'activité enzymatique rétrovirale fut à nouveau détectée et l'effet cytopathogène du virus a été prouvé. Restait à caractériser le virus. Charlie Dauguet qui, à l'époque, utilisait le microscope électronique du service d'oncologie virale fut mis à contribution. À force de patience, il finit par la visualiser.
Tout va alors très vite. la prestigieuse revue américaine « Science » accepte un article sur la première description du virus responsable du sida que l'équipe de l'Institut Pasteur avait appelé à l'époque Lymphadenopathy Associated Virus ou LAV. C'est aussi ce virus que la même équipe pasteurienne avait découvert chez deux frères atteints d'hémophilie B et traités par facteur VIII.
Confirmation de l'hypothèse du rétrovirus tueur.
«Mais face à une telle publication, le monde médical nous a demandé d'établir un lien de causalité entre la présence du virus et l'apparition de la maladie. C'est ainsi que nous avons procédé à différents travaux de confirmation de notre hypothèse physiopathologique: mise en contact d'un sérum de patient infecté avec celui d'un autre patient, concordance entre les virus des donneurs et des receveurs de sang, absence d'implication possible d'autres pathogènes, présence d'anticorps au stade présida…, poursuivait Françoise Barré-Sinoussi.
Suit alors en collaboration avec les virologues de l'hôpital Bichat la mise au point des tests de diagnostic sérologique qui seront commercialisés en 1985. Puis d'autres travaux viennent confirmer l'hypothèse initiale du rétrovirus tueur : démonstration de l'implication des lymphocytes CD4 et de l'effet du virus dans cette sous-population, séquençage du virus et preuve de l'appartenance du virus au groupe des rétrovirus.
La découverte du VIH a permis de faire des progrès considérables dans la compréhension de la physiopathologie des infections virales, de prendre en compte la variabilité du virus, de mieux appréhender les interactions virus-hôte, de préciser les mécanismes de défense physiologiques de l'hôte, de mieux connaître les intervenants du système immunitaire et d'imaginer des traitements antiviraux d'un genre nouveau. Le développement de la maladie dans le monde a forcé les chercheurs à analyser plus précisément l'épidémiologie et la phylogénétique du virus. Mais la découverte du virus a aussi eu un impact net sur la société : mise en avant des associations de patients, implication de la communauté homosexuelle, élaboration de politiques de prévention, prise en compte du problème des États pauvres et en particulier des pays de l'Afrique subsaharienne avec le développement d'initiative d'accès au traitement.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature