Dr Michèle Garabédian, Frédéric Jehan et Laure Esterle*
La croissance osseuse résulte d'un ensemble de processus mis en jeu de façon simultanée ou séquentielle : – formation de la matrice collagénique par deux types de cellules (chondrocytes et ostéoblastes) ;
– croissance des os longs assurée par les chondrocytes des cartilages de croissance au niveau métaphyso-épipysaire ;
– minéralisation de la matrice protéique par les ostéoblastes, ces mêmes cellules assurant également la croissance en épaisseur des os ;
– et, enfin, modelage, puis remodelage des os formés, impliquant une résorption par un troisième type cellulaire, les ostéoclastes.
Toute une série de régulateurs locaux et hormonaux contrôle ces processus pour en assurer le déroulement harmonieux. Parmi ceux-ci interviennent des facteurs locaux, principalement IGF-1, Bone Morphogenetic Proteins, cbfa1, et peptides permettant l'interaction entre ostéoblastes et ostéoclastes (système RANK/RANK-L/Ostéoprotégérine). Ils agissent de concert avec des régulateurs hormonaux qui influencent la prolifération, la différenciation, et/ou les activités des différents types cellulaires impliqués. Ces mêmes régulateurs hormonaux contrôlent également la production des facteurs locaux et l'expression de leurs récepteurs, et ils interagissent entre eux en modulant leurs productions respectives et l'expression de leurs récepteurs. Les principaux de ces régulateurs hormonaux sont l'oestradiol, l'hormone parathyroïdienne, la forme active de la vitamine D (calcitriol), l'hormone de croissance via l'IGF-1, les cortico-stéroïdes et les hormones thyroïdiennes. Enfin, la minéralisation de la matrice osseuse implique une adaptation fine de l'absorption intestinale et de l'élimination urinaire des minéraux, principalement calcium et phosphates, à la quantité disponible de ces minéraux dans l'alimentation et aux besoins du squelette en croissance, lesquels varient avec l'âge en fonction de la vitesse de croissance. Cette adaptation étant sous le contrôle de la vitamine D, on comprend la nécessité de réserves en vitamine D suffisantes pour une acquisition optimale de la masse minérale osseuse pendant la croissance.
L'acquisition de la masse minérale osseuse chez l'enfant et l'adolescent est influencée par de multiples facteurs environnementaux et par le patrimoine génétique de l'individu.
Parmi les facteurs environnementaux, les uns favorisent localement l'activité des cellules formant l'os, principalement l'activité physique et musculaire, les apports protéiques qui augmentent, entre autres, la production d'IGF-1, les apports énergétiques, l'augmentation de la masse pondérale, les phyto-oestrogènes. D'autres ont un effet défavorable sur le métabolisme osseux, la dénutrition et les carences protéino- énergétiques, la déficience en zinc, magnésium ou vitamine K, la déficience ou la surcharge en vitamine A. D'autres agissent sur l'absorption intestinale du calcium, soit en favorisant cette absorption (lactose, certains peptides du lait, vitamine D), soit en l'inhibant (phytates, apports excessifs en fibres). Enfin, d'autres facteurs agissent indirectement sur l'os en réduisant la perte urinaire de calcium (aliments apportant une charge alcaline) ou en l'amplifiant (alimentation apportant en excès des sulfates, acides aminés soufrés, chlorure de sodium, et/ou charge acide).
Les gènes impliqués dans les métabolismes phospho-calcique et osseux commencent seulement à être inventoriés. Des altérations sévères de ces gènes entraînent des pathologies osseuses par défaut ou excès de fonction des régulateurs locaux et hormonaux du métabolisme osseux. Mais, de plus, des variants dans les parties codantes ou régulatrices de ces gènes sont observés chez chaque individu, même en bonne santé. L'étude des variants fréquents (polymorphismes) dans des populations en bonne santé montre des associations entre croissance et certains variants situés sur les gènes codant pour l'hormone de croissance, pour son récepteur, pour IGF-1, et pour les récepteurs VDR de la vitamine D et ER des oestrogènes. Des associations ont de même été observées entre densité minérale osseuse et/ou risque de fractures de l'adulte et des variants de gènes impliqués dans la formation osseuse (gènes codant pour les collagènes de type I et 9, pour TGFbéta 1, cbfa1, et LRP5), la résorption osseuse (gène TCIRG1 codant pour une pompe à proton et gène codant pour un canal chlore ClCN7 des ostéoclastes), et le couplage formation/résorption (gènes codant pour RANK et ostéoprotégérine). La mise en évidence de ces polymorphismes devrait permettre de mieux comprendre la diversité des rythmes de croissance et d'acquisition de la masse minérale osseuse chez l'enfant et l'adolescent. Leur recherche ne fait que commencer.
Trois des facteurs environnementaux et génétiques sont particulièrement cruciaux pour l'absorption intestinale du calcium, la croissance et la minéralisation du squelette. Ce sont les apports en calcium, les réserves en vitamine D, et les polymorphismes sur la partie régulatrice du gène VDR.
S'il existe une controverse quant aux apports optimaux en calcium et en produits laitiers pendant la croissance et l'adolescence (Heaney, J Am Coll Nutr 2000 ; Weinsier, Am J Clin Nutr 2000 ; Lanou, Pediatrics 2005), il est bien établi que la non-consommation de lait et/ou des apports calciques inférieurs à 500-600 mg/jour a un impact négatif sur la croissance et la minéralisation des os chez les enfants prépubères et les adolescents. Cet effet s'estompe en fin de puberté et n'est plus visible chez l'adulte jeune. Cependant, une étude rétrospective récente (Kalwarf, Am J Clin Nutr 2003) suggère que la déficience en calcium chez l'enfant a des effets négatifs à long terme, puisqu'elle aggrave le risque de fractures non ostéoporotiques chez les femmes de plus de 50 ans.
Calcium et réserves en vitamine D.
Des différences dans le statut en vitamine D des différentes cohortes étudiées expliquent probablement, au moins en partie, la controverse sur les apports optimaux en calcium ou en produits laitiers, entre 600 et 1 000 mg/j. Or, 30 % des adolescents en France ont des apports calciques inférieurs à 800 mg/jour, et 50 % des apports inférieurs à 1 g/jour. En situation de déficience modérée en calcium, une production accrue de calcitriol permet d'augmenter l'efficacité de l'absorption intestinale de cet ion. Cependant ce mécanisme requiert des réserves suffisantes en vitamine D, lesquelles peuvent être estimées à partir du dosage de 25-(OH)D circulant. Dans notre expérience, des concentrations de 25-(OH)D inférieures à 10-12 ng/ml (30 nmol/l) ne permettent pas à l'intestin de s'adapter aux apports faibles de calcium pendant l'adolescence. Ainsi, une baisse significative d'environ 0,5 DS en Z score de la densité minérale osseuse est observée chez les jeunes filles cumulant une déficience en vitamine D et une consommation de calcium inférieure à 1 gramme par jour.
Enfin, des différences dans la fréquence des variants dans la région régulatrice du gène VDR, en fonction de l'origine, peuvent également intervenir dans les controverses sur les apports calciques optimaux. En effet, l'expression du récepteur de la vitamine D, et donc les réponses à cette vitamine, peut être plus ou moins élevée selon les variants (d'Alesio, Hum Mol Genet, 2005). Dans notre expérience, la présence ou non de ces variants influence l'impact des apports calciques sur la croissance et la minéralisation osseuses des adolescentes. Au total, si de nombreux facteurs environnementaux et génétiques influencent la croissance et la minéralisation osseuse, une minéralisation optimale du squelette chez l'enfant prépubère et l'adolescent est observée dans tous les cas avec des apports calciques égaux ou supérieurs à 1 g/jour. Un même effet peut être obtenu avec des apports plus faibles, mais supérieurs à 500-600 mg/j, à la condition que les enfants n'aient pas de déficience en vitamine D et/ou qu'ils appartiennent à des groupes génétiques avec variants favorables du VDR (25 % de la population française).
* Inserm U561, hôpital St Vincent-de-Paul, Paris.
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