Comme l'explique le Pr Cambazard, «parmi les très nombreuses hypothèses concernant les mécanismes de l'eczéma, l'une des plus intéressantes est le rôle possible d'une mutation de la filaggrine, une protéine qui permet l'agrégation des tonofilaments et qui entre dans la composition de la matrice macrofibrillaire des cornéocytes». La mutation du gène de la filaggrine entraîne une altération du film protecteur de la couche cornée. L'altération de cette barrière naturelle s'accompagne d'une augmentation de la pénétration des atopènes et favoriserait ainsi la sensibilisation à divers allergènes de l'environnement. Cette hypothèse physiopathologique est confortée par plusieurs études récentes. Ainsi, Palmer C.-N. et coll. ont montré que deux variants du gène de la filaggrine sont de puissants facteurs de prédisposition à la dermatite atopique et qu'ils sont aussi associés au développement d'un asthme chez les sujets présentant un eczéma (1). Le rôle de ces mutations a été confirmé par une autre étude portant sur 476 familles allemandes atteintes d'eczéma atopique (2).
L'altération de la barrière cutanée.
«Ces mutations du gène codant pour la filaggrine semblent donc bien corrélées avec la dermatite atopique et l'asthme», souligne le Pr Cambazard. Autre argument en faveur de cette hypothèse physiopathologique : le lauryl sulfate de sodium pénètre plus rapidement dans la peau saine des patients atopiques que dans celle des patients non atopiques, ce qui confirme la diminution de l'efficacité de la barrière cutanée chez l'atopique.
Le rôle primitif de l'altération de la barrière cutanée explique l'importance d'une prise en charge précoce et efficace pour restaurer son intégrité avec des émollients et arrêter les lésions inflammatoires débutantes. Sur le plan thérapeutique, un consensus a été établi en 2006 entre l'Académie européenne d'allergie et d'immunologie clinique et l'Académie américaine d'allergie et d'immunologie. Il précise les modalités de la prise en charge de la dermatite atopique (3). La principale question était de savoir quelle était la place des inhibiteurs de la calcineurine en utilisation topique et surtout leurs effets secondaires potentiels, notamment leur risque carcinogène. Sur le plan de l'efficacité, une métaanalyse portant sur plus de 4 000 patients inclus dans 25 études randomisées a montré que le tacrolimus 0,1 % (Protopic, réservé à l'adulte) est aussi efficace que les dermocorticoïdes puissants. il a donc sa place en cas de résistance à cette classe thérapeutique, ou lorsque la localisation de l'eczéma expose au risque de complications des dermocorticoïdes, notamment au niveau du siège et des paupières (4). «Le pimecromilus (Elidel, non commercialisé en France) a une efficacité moindre, mais est mieux toléré, entraînant moins de sensations de picotements et de brûlures les premiers jours d'utilisation», précise le Pr Cambazard.
Attention à la calcineurinophobie.
C'est la question des effets à long terme de cette classe thérapeutique en utilisation topique qui a fait l'objet de débats, à la suite de la décision de la FDA d'apposer un avertissement sur les boîtes de ces médicaments. «Il faut dire, comme le rappelle le dermatologue français, que, aux Etats-Unis, ces produits étaient très largement utilisés, souvent en première intention, chez des enfants de moins de 2 ans et dans de multiples dermatoses.» De nombreuses publications se sont depuis révélées très rassurantes : «Il n'existe actuellement aucun élément permettant de suspecter un risque accru de lymphomes ou de cancers cutanés chez des adultes ou chez les enfants traités par des inhibiteurs de la calcineurine sous forme topique», note le Pr Cambazard, qui nous met en garde : «Il serait dommage que la calcineurinophobie prenne le relais de la corticophobie, qui, depuis de nombreuses années, a empêché le traitement satisfaisant de très nombreux enfants atopiques.» Des progrès restent encore à faire quand on constate, comme le montre une étude récente, que la moitié des poussées d'eczéma ne sont pas traitées (5). Cette prise en charge insuffisante explique le grand nombre de dermatoses d'évolution chronique. Il faut néanmoins respecter les indications des inhibiteurs de la calcineurine en topique, en évitant de les utiliser chez le nourrisson de moins de 2 ans et sous occlusion. Chez l'enfant, seul le tacrolimus en pommade à 0,03 % est autorisé.
* CHU de Saint-Etienne.
(1) Palmer CN et coll. « Nat Genet » 2006 ; 38 : 441-6.
(2) Weidinger S et coll. « J Allergy Clin Immunol » 2006 ; 118 : 2214-9.
(3) Akdis CA et coll. « J Allergy Clin Immunol » 2006 ; 118 : 152-62.
(4) Bigby M et coll. « Arch Dermatol » 2006 ; 142 : 1203-5.
(5) Zuberbier T et coll. « J Allergy Clin Immunol » 2006 ; 118 : 226-32.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature