L'OBESITE est une maladie complexe provenant d'un déséquilibre de la balance énergétique du fait de l'incapacité de l'organisme à s'adapter aux pressions de l'environnement, comme les changements des modes alimentaires et la baisse de l'activité physique. Sa fréquence croit de façon spectaculaire chez les enfants comme chez les adultes. Cette évolution est préoccupante compte tenu de l'impact sur la santé (diabète, maladies cardio-vasculaires, certains cancers). Bien que le problème de l'obésité soit reconnu comme un enjeu de santé publique pour les sociétés modernes, cette maladie n'est généralement pas considérée comme une situation pathologique à part entière. Les conceptions physiopathologiques de cette maladie ont considérablement évolué. Une attention particulière est portée à l'heure actuelle sur les modifications du tissu adipeux et leurs conséquences, en particulier l'inflammation. L'expansion du tissu graisseux est bien entendu au cœur des processus de constitution et de l'entretien de l'obésité et probablement de ses complications. Or le tissu adipeux est bien plus qu'un simple réservoir d'énergie. Il produit de nombreuses molécules « signal » qui vont circuler dans l'organisme et agir à différents niveaux. D'une part, en informant le cerveau des variations des réserves d'énergie - c'est le cas de la leptine - et, d'autre part, en permettant la communication entre le tissu adipeux et d'autres organes périphériques - c'est le cas de l'adiponectine - qui agit sur le foie et le muscle. Certaines molécules ont également un rôle direct sur la biologie du tissu graisseux.
Les activités complexes du tissu adipeux.
Le tissu adipeux blanc est donc un véritable organe sécrétoire qui dialogue avec une série d'autres organes. Ces échanges d'information contribuent à moduler l'appétit, la dépense d'énergie, la sensibilité de l'insuline, le métabolisme de l'os, les systèmes endocrines et reproducteurs. Il a été montré également que le tissu adipeux produit des molécules reliées à l'inflammation et l'immunité. Une variété de facteurs pro- et anti- inflammatoires, en fait un véritable cocktail de molécules telles que le tumour necrosis factor alpha (TNF-alpha), des interleukines, comme l'IL6, des protéines de la phase aiguë de l'inflammation, les sérum amyloïdes A (SAA) et la protéine chémo-attractrice des monocytes, ou MCP-1, sont ainsi fabriqués par le tissus adipeux.
Il est désormais établi que l'augmentation de la masse du tissu adipeux lors du développement de l'obésité contribue directement à une augmentation de l'inflammation systémique et c'est dans ce contexte que le concept d'« inflammation à bas bruit » chez le patient obèse a été proposé.
Or, la présence d'une inflammation systémique à bas bruit a été associée à un risque augmenté de développement d'une résistance à l'insuline, du diabète de type II et des maladies cardio-vasculaires au cours de l'obésité. Plusieurs études ont maintenant confirmé que la présence d'une inflammation bas grade prédit le développement du diabète de type 2.
Des facteurs pro-inflammatoires.
Le concept de l'existence d'une inflammation provenant du tissu adipeux et son rôle dans l'obésité et la résistance à l'insuline, a été avancé pour la première fois par l'équipe de Gokan Hotamisligil à Boston en 1993, qui a démontré la production constitutive de facteurs pro-inflammatoires par les adipocytes, en particulier du facteur TNF-alpha et l'augmentation significative de ces facteurs par les adipocytes d'animaux obèses. Si le TNF-alpha est neutralisé par le récepteur TNF-alpha soluble, on observe une amélioration de la sensibilité à l'insuline chez ces animaux. Ces observations ont souligné l'existence d'un lien entre une cytokine pro-inflammatoire produite par le tissu adipeux et l'insulinorésistance. D'autres études ont montré que dans le tissu adipeux humain, le TNF-alpha est aussi exprimé constitutivement et que son expression baisse après perte de poids. Une corrélation considérable entre l'index de la masse corporelle et le TNF-alpha du plasma est observée dans certaines études. La concentration du récepteur TNF-alpha est aussi élevée chez les malades obèses. Cependant, les tentatives à réduire le TNF-alpha par infusions des anticorps anti- TNF-alpha chez l'homme n'ont pas été efficaces pour améliorer l'insulinosensibilité. Il semble que le TNF-alpha aurait un rôle local dans le tissu adipeux et la biologie adipocytaire plutôt que systémique.
La pandémie d'obésité et des pathologies associée a mené, dans la dernière décennie, à une augmentation des recherches sur le rôle du tissu adipeux comme un participant actif dans la genèse des maladies reliée à l'inflammation. Le tissu adipeux pourrait en effet constituer un lien entre obésité, inflammation et insulinorésistance, bien que les connaissances sur la nature et les rôles des molécules « signal » du tissu adipeux restent très parcellaires. Leur régulation dans diverses conditions nutritionnelles, et notamment lors de l'amaigrissement induit par la restriction calorique, est mal connue. De plus, certaines de ces molécules peuvent être produites non seulement par les cellules adipeuses elles-mêmes (les adipocytes), mais aussi par d'autres types cellulaires qui composent le tissu adipeux, comme les cellules préadipocytaires (dépourvues de lipides et précurseurs des adipocytes) et des cellules de l'inflammation, comme les macrophages.
Le bénéfice de la perte de poids.
Très récemment (en 2003 et 2004), des travaux publiés par des équipes américaines et françaises ont montrés que le tissu adipeux blanc d'obèses est bien la cible d'une infiltration macrophagique et que cette infiltration est liée à l'index de masse corporelle (IMC) et à l'hypertrophie adipocytaire.
Notre équipe Inserm « Avenir » (université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI) a montré que les macrophages infiltrants le tissu adipeux humain de sujets obèses se disposent typiquement en « rosettes » ou « couronnes » autour des adipocytes et parfois se fusionnent en cellules géantes : un phénotype étonnant témoignant d'une activé inflammatoire locale très importante (figure 1). Le tissu adipeux des individus obèses contient un nombre augmenté de macrophages comparé avec celui de personnes maigres, et ces macrophages montrent clairement un phénotype activé car ils expriment des marqueurs caractéristiques, comme le CD68, CD87 et IL12A. Nous avons démontre que la perte de poids modérée (6 à 7 kg), qui est notamment associée à une baisse des facteurs de risque pour les maladies cardio-vasculaires et le diabète, modifie l'expression des gènes liés à l'inflammation et à l'immunité et que le profil « proinflammatoire » du tissu adipeux des sujets obèses devient proche de celui des sujets minces. Ce phénomène témoigne d'une restauration de l'état normal de ce tissu. Une baisse d'expression de facteurs proinflammatoires et une élévation de l'expression de gènes codant pour des protéines aux propriétés anti-inflammatoires sont observées (réf.1). Nous avons analysés des coupes de tissu graisseux chez des femmes massivement obèses soumises à une prise en charge chirurgicale de leur obésité (anneau ajustable et By Pass), avec des pertes moyennes d'une vingtaine de kilos en trois mois. Nos études ont montré que la perte de poids entraîne une diminution significative de cette infiltration macrophagique dans le tissu graisseux, qui s'accompagne avec l'amélioration de tout un panel de cytokines inflammatoires et molécules chémoattractrices tissulaires et systémiques (réf. 2).
En conclusion, un amaigrissement modéré ou plus important chez le sujet obèse peut renverser le phénotype inflammatoire, soit au niveau tissulaire, soit au niveau systémique.
Le rôle physiologique de cette infiltration macrophagique et les mécanismes d'infiltrations dans le tissu graisseux en cours d'obésité restent encore inconnus et font l'objet d'intenses travaux de recherche.
* Chercheuse INSERM
Equipe Avenir 3502, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI (dirigé par le Dr K. Clément).
CHU La Pitié, service de médecine et nutrition, Hôtel-Dieu, Paris (dirigé par le Pr. A. Basdevant).
Références bibliographiques
Réf. 1 : Clément K. et coll., « Weight loss regulates inflammation-related genes in white adipose tissue of obese subjects ». FASEB J. 2004 Nov. : 18 (14) : 1657-1669.
Réf.2 : Cancello R. et coll., « Reduction of macrophage infiltration and chemoattractant gene expression changes in white adipose tissue of morbidly obese subjects after surgery-induced weight loss. ». Diabetes 2005 Aug : 54 (8) : 2277-2286.
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