LE FILS du grand Erich Kleiber (1890-1956), qui avait à Berlin dans les années vingt créé les chefs-d'œuvre que sont « Wozzeck » d'Alban Berg et « Jenufa » de Janacek, s'était fait un prénom dans la direction d'orchestre malgré l'opposition de son père qui voulait faire de lui... un chimiste. Précisément, jamais aucun chef n'a su distiller comme lui la chimie des valses, des marches, des polkas, des galops et autres csardas de la dynastie des Strauss de Vienne, ni porter plus haut la pâtisserie sentimentalo-viennoise du « Chevalier à la rose » du Bavarois Richard Strauss. Personnage secret, fantasque et imprévisible, ayant la réputation de ne diriger que quand son portefeuille était vide et d'annuler aussi facilement des projets longuement échafaudés à coup d'exigences artistiques il est vrai, Kleiber n'aura guère dirigé qu'à Vienne, à Munich, à Milan et à Berlin, un peu aussi à New York et au Japon. Le reste du monde l'a attendu en vain...
L'ayant beaucoup vu et entendu diriger au Bayerische Staatsoper de Munich, on garde de lui le souvenir d'un chef d'une suprême élégance physique avec une silhouette droite et élancée, à la battue d'une extrême précision et efficacité. Il avait le don de manier dans les mouvements de valse, autant au premier degré comme dans « Die Fledermaus » de Johann Strauss que dans la parodie avec « Der Rosenkavalier » de Richard Strauss, l'indispensable rubato qui laissait souvent l'auditoire au bord du vertige. Son sens dramatique n'était pas moindre comme on pouvait l'entendre quand il dirigeait « Otello » de Verdi ou « Tristan » de Wagner. D'un instinct infaillible dans le choix des interprètes, il pouvait, sur la première scène lyrique bavaroise qui, à l'époque de l'intendance de Wolfgang Sawallisch, était prête à tous les sacrifices pour l'avoir dans la fosse, aligner des distributions somptueuses qui lui restaient fidèles pendant de nombreuses saisons.
Heureusement et malgré son aversion pour les studios d'enregistrement, sa discographie officielle n'est pas si mince avec, chez Deutsche Grammophon, un « Tristan et Isolde » de Wagner au bord de l'hypnose avec Margaret Price, René Kollo, Brigitte Fassbender et Dietrich Fischer-Dieskau et surtout un « Freischütz » de Von Weber inégalé avec Gundula Janowitz, Theo Adam, Berndt Weinkel et Peter Schreier, une « Chauve-Souris » parfaite et une « Traviata » de légende avec Ileana Cotrubas, Plácido Domingo et Richard Milnes.
Cet éditeur vient de publier un DVD en hommage au chef disparu, dont la plaquette comprend les cartes postales avec lesquelles il correspondait avec son environnement professionnel, les fameux « kleibergrammes », avec sa « Quatrième » de Brahms, l'« Inachevée » de Schubert et des extraits de « Tristan ».
Plus récemment, Orfeo a publié une « Symphonie pastorale » de Beethoven, dirigée le 7 novembre 1983 à la tête du Bayerisches Staatsorchester, l'unique « Sixième » qu'il ait jamais dirigée et probablement la parution symphonique la plus excitante de l'année (en déplorant que la « Quatrième » ne soit plus disponible chez le même éditeur).
Au DVD, il faut absolument connaître (Universal) sa « Chauve-Souris » de Munich, son « Chevalier à la rose » de Vienne avec Felicity Lott, Anne Sofie von Otter, Barbara Bonney et Kurt Moll (1994) en attendant celui de Munich dans la luxueuse et splendide production créée pour les jeux Olympiques de 1972 par Otto Schenk et Jürgen Rose (qui n'a jamais quitté l'affiche depuis) qui avait déjà été édité sur Vidéo Laser Disc ainsi que le « Concert du Nouvel An à Vienne » de 1989, au risque de n'en apprécier après plus jamais aucun autre. Plus récemment, TDK a publié un document en noir et blanc et mono d'une valeur inestimable : « Carlos Kleiber en répétition et en concert ». Le charismatique maestro fait répéter en 1970 à un Südfunk Sinfonieorchester qui n'est pas la Rolls des orchestres mais le bon exemple d'un orchestre de radio provincial allemand d'un excellent niveau tout de même, les Ouvertures du « Freischütz » et de « la Chauve-Souris ». Il est passionnant de voir avec quel mélange de diplomatie et d'autorité, l'exigeant Kleiber réussit à plier des musiciens médusés par l'excentricité du chef mais se laissant dompter et donnant le meilleur d'eux-mêmes, presque malgré eux ! La performance en concert qui suit chaque session de répétition est là pour en témoigner. Du très grand art !
Hommage au chef d'orchestre Carlos Kleiber
Le roi des perfectionnistes
Publié le 19/09/2004
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 7593
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