Dysfonction érectile

Le risque vasculaire vient du symptôme... pas du traitement

Publié le 18/10/2005
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UNE RECENTE ENQUETE réalisée par « le Quotidien » auprès de cardiologues montre qu'une très forte majorité des spécialistes estime que moins de 25 % et même moins de 10 % de leurs patients leur parlent de leurs troubles érectiles. Pour le Pr Xavier Girerd, ces chiffres sont sûrement minorés pour plusieurs raisons : la sexualité est toujours un sujet tabou et, de plus, il ne faut pas voir la DE comme une perte d'érection totale, voire une « impuissance », mais comme une entité regroupant des niveaux de gravité et de fréquence très variables. « Pour bien juger de la fréquence des troubles, il faut les rechercher de façon systématique et, d'ailleurs, en procédant ainsi, une enquête réalisée par le club du jeune hypertensiologue a retrouvé 49 % de DE chez les hypertendus âgés en moyenne de 62 ans. »
Quoi qu'il en soit, poursuit le Dr François Philippe, les études épidémiologiques montrent très clairement que la DE et la maladie coronaire nous renvoient au même type de patients avec des hommes vieillissants et associant souvent plusieurs facteurs de risque cardio-vasculaire. Ces données épidémiologiques associées à une meilleure connaissance de la physiopathologie de la DE font de cette dernière une véritable maladie cardio-vasculaire ou, en tous cas, une sentinelle de cette pathologie cardio-vasculaire, poursuit le Pr François Giuliano.

Le rôle clé de la dysfonction endothéliale.
En effet, la dysfonction endothéliale fait le lien entre la DE et la maladie coronaire : il y a davantage de cellules endothéliales dans la verge et les corps caverneux que dans la circulation coronaire, les dysfonctions étant de même nature. On n'est donc pas surpris de constater que la majorité des coronariens présentent des troubles de l'érection et il n'est pas plus surprenant de voir que, dans bien des cas, la DE a une valeur de sentinelle annonçant la survenue ou l'évolution plus rapide d'une maladie coronarienne déjà installée ou même précédant cette dernière.
Tous les participants estiment que la majorité des cardiologues a bien intégré ces données, ce qui ne veut pas dire que les cardiologues sont toujours à l'aise pour parler de DE avec leurs patients et la prendre en charge (Pr J.-Y. Le Heuzey), surtout si l'on respecte le bilan urologique préconisé avant la prescription d'un IPDE5 (palpation des testicules, TR) pour lesquels le cardiologue n'est pas familiarisé. X. Girerd, qui déclare rechercher activement et prendre en charge les plaintes pour DE chez ses patients, reconnaît qu'il ne pratique pas de TR avant de prescrire des IPDE5, se limitant à un interrogatoire soigneux, à un dosage de PSA (ce qui lui a permis de diagnostiquer des cancers de la prostate) et à la recherche d'une gynécomastie (adénome à prolactine). Pour F. Giuliano, le pragmatisme conduit à séparer le dépistage systématique du cancer de la prostate, qui impose un TR, et une prise en charge efficace des DE, en particulier par les cardiologues.
Une telle attitude a deux mérites : ne pas laisser des souffrances et des plaintes pour DE sans réponse et aussi mieux mobiliser les cardiologues sur ce sujet, les inscrivant dans une démarche de prévention cardio-vasculaire, car « la découverte d'une DE est un facteur prédictif de survenue d'un événement cardio-vasculaire majeur au cours des années suivantes » (F. Philippe).

Médicaments cardio-vasculaires et DE : les idées reçues ont la vie dure.
Une mobilisation d'autant que, au quotidien, le cardiologue a déjà à gérer toutes les idées reçues sur les effets des médicaments à visée cardio-vasculaire sur les fonctions sexuelles. A ce sujet, X. Girerd est aussi clair que résigné : « Il est scientifiquement prouvé que, à l'exception des diurétiques thiazidiques, tous les antihypertenseurs n'altèrent pas plus les fonctions érectiles que le placebo. Cela s'applique aux bêtabloquants qui ont pourtant été décriés. Les alphabloquants font même mieux que le placebo.
Malgré tout cela, la pression de l'opinion fait que nous sommes amenés à changer de classe de médicaments quand cela est possible, uniquement pour rassurer le patient. Toutefois, cela ne doit pas conduire à une perte de chance, d'autant que l'on peut associer sans aucun problème la quasi-totalité des traitements à visée cardio-vasculaire à des IPDE5. Des médicaments dont la tolérance cardio-vasculaire a été parfaitement démontrée ; il ne faut pas hésiter à le redire. »

Des associations parfaitement tolérées.
Cela s'applique tout particulièrement aux antihypertenseurs : aucun signe clinique de gravité n'est apparu dans les dossiers d'enregistrement des IPDE5, alors que plus de 40 % des patients des études pivots étaient sous antihypertenseurs. Des résultats confirmés par plusieurs études spécifiques, avec les inhibiteurs calciques notamment. On enregistre tout au plus une petite diminution (5 ou 6 mm Hg) de la pression artérielle, mais cela est plutôt bénéfique quand on sait que l'acte sexuel augmente beaucoup les chiffres tensionnels.

L'exception formelle des dérivés nitrés.
Le seul problème qui demeure est celui des dérivés nitrés, souligne J.-Y. Le Heuzey. En effet, l'association des nitrés avec les IPDE5 entraîne une baisse moyenne de 50 mmHg de la systolique, ce qui, dans certains cas, aboutit à de vrais problèmes, ce qui fut mis en lumière dès le début de la commercialisation du premier IPDE5. Dans ce domaine, le problème est moins l'information du médecin que du patient qui ignore parfois cette contre-indication ou qui, dans une situation d'urgence, se trouve pris au piège, n'ayant pas révélé à sa partenaire la prise d'IPDE5 : certains n'osent pas alors refuser les dérivés nitrés donnés par le médecin des urgences.
En effet, ce problème d'association ne se rencontre pratiquement plus dans le cas de la prise chronique des dérivés nitrés tant il est vrai que celle-ci tend à disparaître. C'est donc bien la prise de trinitrine en aigu pour soulager la douleur qui peut poser problème, souligne le Pr Le Heuzey. Quoi qu'il en soit, l'abandon des nitrés n'entraîne pas de perte de chance pour le patient, précise le Dr François Philippe, la prescription de l'IPDE5 étant simplement l'occasion de réactualiser une prise en charge.

Quel bilan cardio-vasculaire avant la prescription d'un IPDE5 ?
Le consensus de Princeton sert de base à la prise en charge de la DE en fonction du risque cardio-vasculaire en individualisant trois profils de patients : ceux qui sont à faible risque, ceux qui sont à haut risque et ceux à risque intermédiaire. Dans le premier cas, l'activité sexuelle ne comporte pas de risque alors que, dans le second, la sévérité ou le caractère instable du tableau clinique rend la pratique sexuelle à risque.
Comme c'est toujours le cas, soulignent les participants, c'est la classe intermédiaire qui pose le plus de problèmes pour la prise en charge des patients associant plus de trois facteurs de risque (angor stable, antécédents d'infarctus, dysfonction ventriculaire gauche ou insuffisance cardiaque de classe II, séquelles non cardiaques de l'athéromatose), le consensus de Princeton prévoyant que, dans tels cas, un bilan cardiologique s'impose avant la reprise de l'activité sexuelle. En pratique, le débat met bien en lumière le dilemme souvent posé aux cliniciens. D'une part, dans la mesure où la DE est, on l'a dit, un signe d'alerte, on pourrait être tenté d'élargir les indications des épreuves d'effort chez de tels patients. Mais, pour des raisons pratiques, économiques et aussi parce que l'épreuve d'effort n'est pas toujours bien acceptée par le patient, on en revient souvent à des indications plus restrictives de l'épreuve d'effort sur des bases proches de celles fixées par le consensus de Princeton. Ce qui n'empêche pas le Pr Le Heuzey de dire : « Il n'est pas scandaleux de faire une épreuve d'effort chez un homme de plus de 55 ans. »

Pourquoi interroger un patient cardiaque sur sa sexualité ?
Tout ce qui vient d'être dit montre déjà qu'il est important d'évoquer les problèmes de DE chez un patient cardiaque. En effet, la découverte d'une DE représente un signe d'alerte pour le cardiologue comme pour le généraliste, ce qui ne doit pas conduire à médicaliser à outrance la plainte du patient, mais ce qui justifie une surveillance cardio-vasculaire renforcée. Par ailleurs, si l'activité sexuelle ne contribue pas à la santé générale du cardiaque par l'intermédiaire de l'activité physique correspondante qui apparaît mineure au regard de celle qui est prescrite par ailleurs, elle fait partie de la qualité de vie globale du patient. A ce titre, le Dr François Philippe rappelle que l'OMS individualise les trois dimensions physique, psychique et sexuelle de la santé sexuelle, à coté du bien-être social.
De plus, souligne le Pr Xavier Girerd, le fait d'aborder la sexualité a souvent un impact positif sur la qualité de la relation médecin-malade : à un moment où le médecin interdit beaucoup de choses, la prise en charge positive d'une plainte du patient se révèle gratifiante pour les deux protagonistes.

(1) Table ronde organisée par « le Quotidien du Médecin » avec le soutien institutionnel des Laboratoires Lilly. Avec la participation des Prs Xavier Girerd (La Pitié), François Giuliano (Garches), Jean-Yves Le Heuzey (HEGP) et le Dr François Philippe (Institut mutualiste Montsouris).

Le besoin d'objectiver et de quantifier

Les cardiologues présents ont souligné que beaucoup de leurs confrères médecins et en particulier les cardiologues exprimaient le besoin de fonder leurs certitudes sur des chiffres, des images et aussi de disposer d'outils d'évaluation clinique relativement standardisés. Or, constate le Pr Xavier Girerd, le questionnaire évaluant l'existence d'une dysfonction érectile et élaboré par les urosexologues se révèle assez peu adapté en dehors de ce contexte car étant perçu comme trop cru par beaucoup de patients. A cela, le Pr François Giuliano répond que le questionnaire de l'index international de la fonction érectile (Iief), qui comprend initialement quinze questions, peut être remplacé de façon très fiable par une seule question, relativement anodine du type : « Avez-vous des problèmes d'érection ? »
Concernant l'évaluation de la dysfonction endothéliale du tissu érectile, les urologues expriment le besoin de travailler en commun avec les cardiologues et les hypertensiologues, notamment pour adapter des techniques ayant fait leurs preuves en cardiologie et les adapter à l'évaluation de la dysfonction endothéliale, comme la mesure de la pression artérielle au niveau de l'artère humérale ou la mesure du pic de vélocité. En attendant cela, les chercheurs et les cliniciens disposent déjà de beaucoup de données objectives sur la dysfonction endothéliale, cause ou conséquence de la DE et sur les effets des traitements sur cette perturbation.

La recherche sur les Ipde5 continue

Les Ipde5 font l'objet de recherches actives qui dépassent largement le cadre de la dysfonction érectile, a rappelé le Pr François Giuliano, ce qui n'est guère étonnant compte tenu de la mise en évidence des effets positifs de ces médicaments sur la fonction endothéliale de patients diabétiques ou insuffisants cardiaques, soit en prise aiguë, soit en prise quotidienne.
En pratique, un Ipde5 vient d'obtenir une AMM dans le traitement de l'hypertension artérielle pulmonaire, ce qui représente une indication très ciblée, mais qui illustre bien le potentiel vasculaire de cette classe. Par ailleurs, un autre IPDE5 en prise quotidienne va être prochainement évalué dans le traitement de l'hypertension artérielle au Royaume-Uni.

> Dr ALAIN MARIÉ

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7825