Surveillance épidémiologique en France

Le risque infectieux de mieux en mieux maîtrisé

Publié le 16/01/2006
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«EN VINGT ANS, nous sommes collectivement passés d’une pratique assez rare de l’investigation des phénomènes épidémiques d’origine infectieuse, souvent mal comprise et sans réelles retombées de santé publique, à une politique de maîtrise du risque infectieux», affirme François Dabis, président du conseil scientifique de l’Institut de veille sanitaire (InVS), dans l’éditorial du « BEH » n° 2-3/2006.

L’évolution peut paraître banale, tant la culture épidémiologique et de santé publique s’est répandue dans de nombreux secteurs de la santé et de la société. Pourtant, insiste le spécialiste, «la France a accompli sa “révolution épidémiologique”» à la faveur d’un changement radical de mentalité et de pratique. La reconnaissance par la société et ses médias de l’importance du fait épidémiologique et la nécessité d’une veille sanitaire en sont des éléments moteurs, tout comme le développement d’un réel savoir-faire par l’Institut de veille sanitaire (InVS).

L’objectif essentiel de tout système de surveillance consiste à «appréhender rapidement un problème de santé inattendu, nécessitant une réponse de santé publique et dont les informations ne sont pas immédiatement disponibles sans se rendre sur le terrain». Le numéro thématique du « BEH » en fournit plusieurs exemples.

La détection précoce via le signalement d’événements inhabituels par les acteurs de santé, approche largement recommandée par les instances internationales, est un élément déterminant du succès, comme le montre l’épisode de cas groupés d’infections à Enterobacter sakazakii survenues en 2004. Bactérie opportuniste, Enterobacter sakazakii est responsable d’infections très rares (une cinquantaine de cas rapportés dans le monde) mais dont la létalité atteint les 20 %.

L’exemple d’Enterobacter sakazakii.

Au début de décembre 2004, l’InVS reçoit, à une semaine d’intervalle, en provenance de deux hôpitaux différents, deux signalements d’infections nosocomiales sévères chez des nouveau-nés prématurés ou hypotrophes : deux décès par méningite, l’un dans l’Allier, l’autre dans le Val-d’Oise. «La survenue rapprochée dans deux hôpitaux distants d’infections très rares suggérait une source commune à distribution très large», commentent les auteurs de l’étude publiée dans le « BEH ».

Le lien entre l’infection et la consommation de préparation en poudre pour nourrissons ayant déjà fait l’objet de plusieurs publications, l’enquête s’oriente rapidement vers le régime nutritionnel des nouveau-nés. Les deux enfants avaient consommé des laits reconstitués à partir d’une même préparation en poudre indiquée en cas d’intolérance aux protéines du lait de vache ou de troubles digestifs sévères. Une alerte nationale est immédiatement lancée et les premiers lots incriminés sont retirés du marché, tandis que l’information est transmise, via le réseau Early Warning and Response System (Ewrs), aux autres pays européens, leur demandant de notifier tout cas similaire.

La poursuite des investigations permet d’identifier deux autres cas d’infection, dans un hôpital de l’Ille-et-Vilaine et dans un autre de Rhône-Alpes, tandis que, dans le Val-de-Marne, un cinquième hôpital signale cinq cas de colonisation digestive (isolement dans les coprocultures sans tableau infectieux). Les neuf nouveau-nés, tous prématurés ou hypotrophes, ont consommé du lait reconstitué qui avait été introduit dès la naissance pour les deux cas les plus sévères ayant conduit au décès. Quatre lots de la préparation sont identifiés. Finalement, tous les lots distribués en France puis dans le monde seront retirés et l’arrêt de l’unité de production hollandaise décidé par le fabricant.

Contrôle et prévention.

«Il s’agit, notent les auteurs , du premier épisode documenté en France. Sa reconnaissance précoce est à mettre à l’actif du signalement systématique des infections nosocomiales et de son appropriation par les équipes hospitalières.»

Ce type d’épisode représente une occasion unique de mieux connaître les facteurs de survenue des épidémies et contribue à mieux adapter les mesures de contrôle. «Une réflexion sur les normes imposées aux fabricants est en cours au niveau européen et international. En France, des recommandations d’hygiène pour la préparation et la conservation des biberons ont été élaborées depuis cet épisode par un groupe de travail de l’Afssa*: elles permettront aux établissements de santé d’évaluer leurs pratiques et de mieux prévenir ce type d’infections», concluent les auteurs.

L’enquête descriptive rigoureuse et standardisée a permis le succès de l’investigation épidémiologique et microbiologique précédemment décrite. Dans certains cas, des innovations biologiques sont nécessaires, en particulier lorsque l’existence d’un grand nombre de formes asymptomatiques facilite la diffusion. C’est le cas des épidémies communautaires à VHA chez l’enfant.

En décembre 2004, le signalement de six cas d’hépatite A dans une école maternelle et primaire dans le Puy-de-Dôme (Auvergne) a bénéficié pour la première fois des tests salivaires qui permettent le dépistage des formes asymptomatiques.

Entre le 20 novembre 2004 et le 15 février 2005, 29 cas ont été identifiés à l’école ou chez les proches (8 adultes et 21 enfants), dont 25 % grâce aux tests salivaires. L’étude a notamment permis de tester sur le terrain la simplicité d’utilisation des tests, qui ont été bien acceptés par la population touchée par l’épidémie. L’analyse ultérieure permettra d’alimenter la réflexion sur l’indication de la vaccination, proposée aux personnes non immunes en fonction des résultats des tests salivaires, qui reste encore en discussion.

L’analyse et l’exploitation des données recueillies, notamment pour l’évaluation de l’impact des interventions de santé publique, dépend de la qualité du système de surveillance, c’est-à-dire son exhaustivité et sa représentativité. De même, la collaboration entre médecine humaine et médecine animale peut se révéler essentielle. La mise en place d’un programme de lutte contre les salmonelles dans la filière volaille et oeufs a, par exemple, permis de diminuer l’incidence des salmonelloses chez l’homme, d’au moins 18 % par an.

L’apport et la méthodologie des sciences sociales sont reconnus comme un complément indispensable, comme dans le cas des pratiques à risque chez les usagers de drogues. Plus largement, elles pourraient aider à mieux analyser les risques infectieux émergents, qui, «comme le Sras, le spectre de la pandémie grippale, l’épizootie aviaire H5N1, la résistance bactérienne aux antibiotiques, les infections acquises à l’hôpital, ont, dans un contexte d’exigence de sécurité sanitaire croissant, un impact social, économique décisionnel et politique de plus en plus fort».

Modélisation des risques.

Enfin, la modélisation des risques infectieux est en plein essor depuis vingt ans. Elle permet, en situation d’incertitude, de proposer des projections fondées sur les connaissances disponibles et aide à l’évaluation a priori de l’impact et de l’efficacité de différentes stratégies de maîtrise ou de prévention.

Comme le conclut François Dabis, «pas de bon modèle sans solides données de référence et pas d’estimation raisonnable pour le décideur sans une réflexion conceptuelle à partir des phénomènes observés». La veille sanitaire dans son ensemble devrait bénéficier de l’expérience acquise dans le champ des maladies infectieuses.

* Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Le document est disponible sur son site : www.afssa.fr/Ftp/Afssa/32117-32118.pdf.

> Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7878