EN 1971, dans le « New England Journal of Medicine », des cardiologues américains mettaient en garde leurs confrères contre le rythme de travail imposé aux internes. En effet, le risque d'erreur à la lecture de l'ECG de ces jeunes médecins était doublé après vingt-quatre heures de travail.
Mais cette publication n'a pas donné lieu à un ajustement du temps de travail qui a, au contraire, progressivement augmenté au cours des trois décennies suivantes. Il s'établit à 85 heures par semaine, en moyenne (entre 60 et 140 pour des semaines de 168 heures, au total), pour les internes de première année travaillant dans des services de soins intensifs en 2000.
Pourtant, régulièrement, d'autres études ont confirmé les dangers pour la sécurité des patients et des médecins de ces cadences de travail. En 2003, l'organisme chargé de la formation des internes a établi que le temps de travail devait désormais être limité à 320 heures par mois, avec une possibilité de majoration de 32 heures dans les services fonctionnant par gardes.
A l'université Harvard, le Pr Charles Czeisler, le chef de service de réanimation, a cherché à vérifier, en 2001, si l'adoption d'un nouvel emploi du temps pouvait modifier certains paramètres essentiels de la vie des internes : durée totale du travail, durée globale de sommeil (en garde et hors gardes), durée des périodes d'inattention (mesurées par l'apparition de mouvements oculaires spécifiques de l'endormissement) et incidence des erreurs médicales (gestes techniques, diagnostic et traitement).
Deux plannings.
Son équipe a donc comparé deux plannings de gardes hebdomadaires.
L'un, conventionnel, consistait à travailler à J1 de 7 heures à 15 heures, puis à J2 de 7 heures jusqu'à 15 heures le lendemain (J3), suivi d'un repos jusqu'à 7 heures à J4. L'autre emploi du temps consistait à travailler de 7 heures à 15 heures à J1, de 7 heures à 21 heures à J2, puis de 21 heures à 15 heures à J3-J4, suivi d'un repos jusqu'à 7 eures du matin. L'adoption de cette seconde option n'a été possible que grâce à l'affectation d'un interne supplémentaire dans le service.
En moyenne, la durée de travail hebdomadaire s'est élevée à 85 heures avec l'emploi du temps conventionnel, contre 65,4 en temps aménagé. Le temps total de sommeil est, pour sa part, passé de 45,9 heures (soit 6,6 heures de moyenne par nuit) à 51,7 heures (soit une moyenne de 7,4 heures). Les internes qui suivaient le nouveau programme avaient, en outre, pris l'habitude d'effectuer une sieste dans l'après-midi précédant leur garde de nuit. C'est peut-être pour cette raison qu'ils ont eu besoin de moins de sommeil nocturne que leur comparateurs (1,29 contre 1,76 heures).
Une analyse des erreurs.
La mesure des signes objectifs à l'examen de l'oculomotricité a confirmé que le risque d'endormissement était deux fois plus important lorsque la nuit de garde était précédée d'une journée de travail.
Charles Czeisler a ensuite procédé à une analyse des erreurs médicales effectuées par les internes entre 2001 et 2003 dans deux services de soins intensifs (réanimation et soins intensifs de cardiologie) qui avaient adopté alternativement les deux types d'horaire (conventionnel ou aménagé). L'analyse a porté sur 2 203 patients-jours, au cours desquels 634 admissions ont été effectuées. L'incidence des erreurs (de tout type) était de 193,2 pour 1 000 patients-jours avec le rythme de travail habituel, contre 158,4 lorsque les internes avaient adopté le nouveau rythme de travail. Le nombre d'erreurs graves était 5,8 fois plus élevé dans le premier groupe que dans le second.
« New England Journal of Medicine », vol. 351 ; 18, pp. 1822-1824, 1824-1825, 1829-1837, 1838-1848 et 1884, 28 octobre 2004.
Le poids des anciens
Dans un éditorial, le Dr Jeffrey Drazen, un réanimateur de Boston, explique que « 38 erreurs médicales supplémentaires pour 1 000 journées/patients (soit une erreur grave toutes les trois semaines dans un service de 15 lits) est un chiffre extrêmement élevé ». Propose-t-il d'adopter immédiatement un protocole de travail allégé ? Non, car selon lui, « dans cette configuration, les internes ne connaissent pas assez bien leurs patients pour les suivre et les traiter efficacement ». Pour ce réanimateur, « s'il est essentiel que les internes soient opérationnels, il est aussi indispensable qu'ils soient informés ».
Aux Etats-unis, ce sont les internes qui évaluent tous les matins entre 4 et 6 heures l'état clinique des malades et qui présentent les cas chaque jour à la réunion de service de 7 heures. Pour le bon fonctionnement des services de réanimation, le Dr Drazen propose d'améliorer les systèmes de transmission des données entre praticiens afin de permettre aux internes de disposer d'un temps de repos compensateur.
En France, un repos compensateur de 11 heures est devenu obligatoire après une garde de nuit depuis 2002.
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