E NTRE les âges de 45 ans et 49 ans, un homme multiplie par deux sa probabilité d'engendrer un enfant schizophrène, comparativement aux hommes qui ont moins de 25 ans. Par la suite, le lien entre vieillissement paternel et risque de schizophrénie chez les enfants est linéaire : au-delà de 50 ans, il se multiplie par un facteur III.
L'étude conduite par Dolores Malaspina (Columbia University College, New York State Psychiatric Institute's Medical Genetics Division), en collaboration avec le ministère de la Santé Israélien, publiée dans le numéro d'avril du journal « Archives of General Psychiatry », montre que pas moins d'un cas de schizophrénie sur quatre est lié à l'âge paternel dès lors que ce dernier a dépassé 45 ans.
Le travail a consisté à étudier les dossiers de 87 907 personnes nées à Jérusalem entre 1964 et 1976, et à les relier aux enregistrements trouvés dans le Registre psychiatrique israélien détenu par le ministère de la Santé.
Les résultats étendent le champ des observations en montrant que des pères plus âgés ont aussi un risque augmenté d'avoir des enfants qui présentent un large éventail de maladies génétiques, font remarquer les auteurs. Ils marquent aussi, pour la première fois, une relation entre un âge paternel avancé et un trouble psychiatrique plutôt que physique. Et ils indiquent, de ce fait, que les hommes ont, eux aussi, une horloge biologique.
Accumuler des erreurs et des mutations
A mesure que l'homme vieillit, les cellules spermatiques sont à même d'accumuler des erreurs et des mutations susceptibles d'être transmises à la descendance. La schizophrénie est une maladie complexe, dont la pathogénie, qui reste mal décryptée, faisant intervenir l'hypothèse d'un mélange de facteurs génétiques et environnementaux. Quelques gènes apparaissent maintenant impliqués (lire encadré).
Les résultats ne permettent pas d'identifier des gènes en cause, mais ils pourraient aider à comprendre certains mystères qui entourent l'épidémiologie de la maladie. D'abord, la prévalence de la schizophrénie se maintient avec une constance étonnante au cours du temps. Ce qui ne laisse pas d'étonner, les personnes souffrant de ce mal étant peu enclines à former des couples et à avoir des enfants, en raison des déficits sociaux caractéristiques de cette maladie. L'évolution devrait normalement tendre vers une diminution du nombre des individus atteints. Sauf si de nouveaux cas émergent, en liaison avec de nouvelles mutations. En témoigne le fait que l'incidence de la schizophrénie est, en outre, constante dans l'espace : on compte environ 1 % de schizophrènes présents dans toutes les populations. « Si les facteurs environnementaux étaient prépondérants, l'incidence de la maladie serait variable d'un groupe à l'autre, selon les endroits et les cultures », observent D. Malaspina et coll.
Incidence stable entre les populations
Ainsi, cette étude pourrait aider à expliquer ces deux inconnues si son approfondissement permettait de comprendre comment, dans chaque génération, de nouvelles mutations font office de gènes de prédisposition à la schizophrénie et, de ce fait, maintiennent l'incidence stable entre les populations. Elle devrait aussi aider à élucider par quels mécanismes un nombre croissant de maladies génétiques sont liées à l'âge paternel avancé. Même si l'homme vieillit, les spermatozoïdes continuent d'être produits par division et maturation cellulaire. Chaque division introduit-elle un risque d'erreur dans le matériel génétique des nouvelles cellules, qui est ensuite transmise aux enfants ? Chez les femmes, à l'inverse, la majorité des divisions des ovocytes s'est réalisée avant la naissance. Les anomalies chromosomiques induites par le vieillissement des ovaires portent typiquement sur des modifications importantes, facilement accessibles aux tests génétiques. Les mutations dans les cellules spermatiques, nommées « mutations ponctuelles » (avec changement d'une seule base), sont quasi impossibles à mettre en évidence, à moins de savoir à l'avance ce que l'on cherche. Déjà les travaux d'identification des modifications des gènes en cas d'âge paternel avancé commencent chez la souris.
« Les spermatozoïdes sont peut-être en passe de se révéler aussi importants que les ovocytes maternels », postule Susan Harlap (département d'épidémiologie, New York University).
Les hommes devraient, dès à présent, être avertis du risque. D'autres affections ont été montrées en liaison à l'augmentation de l'âge paternel : le cancer de la prostate, le cancer du système nerveux, la neurofibromatose, le nanisme, le syndrome d'Apert (malformation du crâne, des mains et des pieds), le syndrome de Marfan (malformations oculaires, osseuses et vasculaires).
Enfin, le travail montre que le risque de schizophrénie diminue avec la longévité du mariage des parents. Cette corrélation n'annule pas l'effet de l'âge paternel avancé, bien qu'elle agisse à l'inverse.
Un défaut oligodendrocytaire
En réalisant des analyses par la technique des puces à ADN à haute densité, des chercheurs ont identifié des anomalies géniques compatibles avec un défaut de la myélinisation. Yaron Hakak et coll. (New York et Boston) sont partis d'études d'imagerie suggérant que la schizophrénie pourrait provenir d'un défaut neurodéveloppemental. Des anomalies avec rupture des connexions intercellulaires ont été trouvées chez des schizophrènes, en particulier au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral. Les chercheurs ont cherché le substrat moléculaire en réalisant une analyse postmortem chez des patients schizophrènes et des sujets normaux.
Ils ont trouvé chez les premiers des défauts d'expression de gènes connus pour être impliqués dans la plasticité synaptique, le développement neuronal, la neurotransmission et la transduction du signal. Le défaut le plus intéressant est une différence d'expression portant sur des gènes liés à la myélination, ce qui suggère une rupture de la fonction oligodendrocytaire chez les schizophrènes.
« PNAS », 10 avril 2001, vol. 98, n° 8, pp. 4746-4751.
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