La santé en librairie
Elle est venue d'Amérique, avec son mètre quatre-vingt-cinq et son expérience de clown en milieu hospitalier. En France, Caroline Simonds, alias le Dr Girafe a créé il y a tout juste dix ans une association nommée « Le Rire médecin », grâce à laquelle une trentaine de clowns officient aujourd'hui dans des services pédiatriques parisiens, nantais ou orléanais. Ce beau succès n'a pourtant pas toujours été obtenu sans peine, comme elle le raconte dans l'ouvrage qu'elle vient d'écrire en collaboration avec un professeur de théâtre canadien.
Est-ce parce que les portes d'un service d'hématologie ont été si difficiles à ouvrir pour elle et ses co-clowns, qu'elle a choisi ce lieu comme sujet de son livre ? Toujours est-il que les premières pages donnent une idée de la patience et du courage qu'il lui aura fallu pour convaincre le chef de service, puis l'équipe soignante au grand complet, du bien-fondé de l'intervention du Rire médecin, alors que huit années de succès confirmés par de savantes évaluations avaient abouti à de multiples sollicitations. « Les barrières tombent » une à une : l'accord de principe ne dispense pas de l'effort à faire pour se concilier les bonnes grâces des secrétaires, de la surveillante-chef, des enseignants enfin, ces derniers n'appréciant pas vraiment la concurrence des clowns. Et puis, on a beau être clown, il n'est pas évident de faire face à la maladie grave des petits, au désarroi des parents, aux difficultés des soignants.
Une vaste gamme d'émotions
« Le Rire médecin » n'est donc pas vraiment un livre drôle, mais plutôt un livre plein d'émotions. N'est-ce pas tout l'art du clown-docteur que d' « utiliser une vaste gamme d'émotions » dans des textes, des chansons, des improvisations, des jeux, pour faire rire, et en même temps, jouer « le rôle de catalyseurs potentiels de la guérison » ? Au fil des jours passés auprès d'enfants en chimiothérapie, en rechute de leucémie, en cours de greffe de moelle, auprès de leurs familles et des soignants, ce sont toutes les nuances de la peur, de la colère, de la tristesse et de la joie qui trouvent un écho chez les clowns, écho que ceux-ci savent renvoyer à leur façon pour le soulagement des uns ou des autres.
On est frappé de la capacité d'adaptation de ces clowns qui interviennent toujours par deux, se font tout discrets pour un enfant qui va mal, tendres pour un autre, explosent avec celui qui a besoin d'exploser, séduisent les adolescents les plus difficiles, convertissent à leur forme de traitement les parents les plus effondrés et les plus sévères, transforment en clowns-assistants enfants malades, médecins et étudiants. Caroline Simonds ne nous permettra pas d'oublier ces petits dont certains ont disparu - les ailes leur ont poussé, selon la terminologie des clowns-docteurs -, mais qu'elle nous rend si présents : Martin le culbuto, Louis l'enragé de Lara Croft, Diane l'amoureuse de l'amour, Stella la muette muée en Stella la bavarde... On rencontre aussi des parents inoubliables, tel le « charismatique » père de Rosa ou les deux grand-mères pleines d'humour.
Pour parvenir à de tels résultats, il aura fallu au Dr Girafe, à la Mouche, au Dr Bob, au Dr Avril et autres clowns-médecins bien du travail ; en témoignent notamment les commentaires en italique qui suivent certains chapitres et qui révèlent la profondeur de la réflexion et la qualité de la technique. Le récit lui-même se charge fort bien de montrer le soin avec lequel les clowns se tiennent au courant des événements, des humeurs, de l'état de santé de tout un chacun dans le service et suivent les règles en vigueur en un tel lieu tout comme les exigences du code de déontologie de leur association.
Respecter les règles d'un service d'hématologie lourd n'empêche pourtant pas ces héritiers des fous du roi ou des bouffons d' « aller très loin en actes et en paroles, beaucoup plus loin que n'importe qui d'autre ne se l'autoriserait dans le cadre de la structure hospitalière ».
Littérateurs et humoristes
En attendant que les clowns-médecins essaiment dans un nombre grandissant de services hospitaliers, il n'est pas interdit de sourire ou de rire du monde médical, et éventuellement avec lui, par exemple en s'offrant une ou deux pages du petit dictionnaire de l'humour médical concocté par le Pr Jacques Frexinos, hépato-gastro-entérologue toulousain, historien à ses heures. On pourrait ajouter grand lecteur devant l'Eternel, tant sa moisson de citations est variée. Elle comporte quantité d'éminents littérateurs dont nous ne pouvons donner ici qu'un maigre échantillon, de Molière à Sacha Guitry, de Gide à Gustave Flaubert, de Jules Renard à Voltaire, de Balzac à Céline, de Frédéric Dard à La Bruyère. Elle comporte de non moins éminents humoristes, parmi lesquels reviennent souvent, entre autres, Pierre Desproges, Philippe Bouvard ou Alphonse Allais, ainsi que quelques hommes politiques, tels Churchill ou Georges Clemenceau. Quant aux médecins, l'humour qui se dégage de leurs écrits est au moins aussi souvent involontaire que volontaire.
Une autre constatation s'impose dès le premier feuilletage du livre : les temps n'ont pas tant changé qu'on le dit. En 1911 par exemple, Gustave Flaubert disait déjà dans son « Dictionnaire des idées reçues », au mot « docteur »: « Est un aigle quand il a votre confiance, n'est plus qu'un âne dès que vous êtes brouillés. » Jules Renard exprimait déjà vigoureusement en 1900 le fait que « les hommes naissent égaux. Dès le lendemain ils ne le sont plus ». Et après tout, les dires de Pascal selon lesquels « les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie que de n'être pas fou », ont-ils tant vieilli ?
C'est à l'inverse largement au vieillissement que d'autres auteurs, médecins ou vulgarisateurs médicaux doivent leur côté comique. La prolixité d'un certain F.-E. Bilz, dans une « Nouvelle Méthode pour guérir les maladies », parue en 1900, interdit qu'on en donne des citations complètes ; pourtant le traitement du cancer du sein par le « fromage mou, bien mêlé sur le sein malade (du cancer) et les parties avoisinantes », ou l'immoralité des nourrices qui contamine les nourrissons mériteraient bien le détour. En faisant confiance à Galien qui attribuait au libertinage des vertus rétrécissantes pour le cerveau, le Dr Noirot, en 1881, fait autant sourire que le vulgarisateur.
Il est pourtant inutile d'accabler la gent médicale, si généreusement servie par les humoristes de tous poils et de toutes époques. Il est bien difficile de dire qui est le plus drôle, de Robert Ducreux, auteur du « Médecin radoteur ou les pots pourris », Voltaire, Montaigne, Francis Blanche, Jules Romains et tant d'autres, quand ils dénoncent les risques que prend le consultant en se rendant chez son médecin ou le malade en entrant à l'hôpital.
L'humour médical va certes aussi à la santé, aux maladies et à la mort en général ; il sait se spécialiser, tout particulièrement dans le domaine de l'urologie et de la gynécologie, dans celui de la psychiatrie ou de la psychanalyse, mais aussi dans le domaine de notre auteur, la gastro-entérologie. Ainsi la constipation constitue-t-elle un inépuisable sujet de discours humoristiques dont nous ne retiendrons ici que le plus bref, celui de Gustave Flaubert : « Tous les gens de lettres sont constipés » et nous ne dirons rien du pet, des purgatifs, du cul, du côlon ou de la colique.
Et à ceux qui, au bout d'un moment, se fatigueraient un instant des mots, Piem offre encore avec ses dessins une autre forme de rire ou de sourire.
« Le Rire médecin », Caroline Simonds, Bernie Warren, Albin Michel, 280 pages, 125 F (19,06 euros).
« Le Petit Dictionnaire de l'humour médical », Jacques Frexinos, Le Cherche-Midi éditeur, 224 pages, 98 F (14,94 euros).
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