Il est loin le temps où l'on pouvait admirer sans états d'âme Lauren Bacall portant d'une main élégante à la bouche la cigarette que Bogart venait de lui allumer. Bogart est mort à 57 ans d'un cancer du poumon et la cigarette est depuis longtemps ennemi public numéro un.
Pourtant, on continue à fumer dans les films. Les fabricants ont compris le parti à tirer de l'exemple donné par un acteur aimé des ados. Les cigarettes Marlboro (Philip Morris), par exemple, ont figuré dans 28 au moins des principaux films à succès de Hollywood ces dernières années. L'effet est assuré : 31 % des adolescents qui ont vu plus de 150 scènes où l'on fume au cinéma, au théâtre, dans des vidéos ou à la télévision ont eux-même fumé, contre 45 % seulement des adolescents qui ont vu moins de 50 scènes.
Et il n'y a pas que Hollywood. Une marque identifiable de tabac apparaît dans près d'un tiers des films français. Et Bollywood* est également touché : sur 395 films indiens tournés entre 1991 et 2002, trois quarts contenaient des scènes de tabagisme. En Inde, le tabac est généralement consommé sous forme de gutka (tabac sans fumée) ou de bidis (petites cigarettes fabriquées de façon artisanale dans une feuille végétale et contenant un peu de tabac haché et diverses plantes telles que le bétel, le clou de girofle ou des aromates). Le marché de la cigarette est donc grand ouvert aux fabricants occidentaux.
Cigarette et minceur
Et comme le cinéma ne suffisait pas à l'industrie du tabac, elle s'est lancée depuis trois décennies à l'assaut de la mode. Les mannequins sont maintenant aussi célèbres, sinon plus, que les actrices et leur silhouette longiligne associée à la cigarette renforce le message : les top-models fument pour rester minces, fumez vous aussi si vous voulez leur ressembler. Les fabricants ont aussi créé un certain nombre de prix qui renforcent l'image de marque de la cigarette : entre autres les More Fashion Awards (More étant une marque de R.J. Reynolds), ou le prix Lucky Strike, distinction prestigieuse dans le domaine du design.
Pour faire pièce à ces manuvres, l'OMS a donc décidé de placer la Journée mondiale sans tabac, le 31 mai, sous le signe du cinéma et de la mode sans tabac. Elle demande solennellement « au monde du spectacle, et plus particulièrement au monde du cinéma et de la mode, de cesser de promouvoir un produit qui entraîne la mort d'un consommateur régulier sur deux ». Le cinéma est invité à renoncer à tout financement de l'industrie du tabac, ce qui serait attesté par un certificat à la fin du film ; les studios et les salles de cinéma devraient diffuser un message publicitaire musclé avant tout film dans lequel le tabac est présent ; on ne devrait pas pouvoir identifier de marque de tabac dans les scènes d'un film ou en arrière-plan ; le classement des films devrait prendre en compte les images du tabac (selon le système anglo-saxon, surveillance parentale recommandée). Le monde de la mode devrait de même cesser de « faire apparaître le tabagisme comme chic, séduisant ou attrayant », ne plus laisser l'industrie du tabac parrainer des défilés ou des concours, ne plus vendre ou distribuer des vêtements ou accessoires portant des noms de marque de tabac.
« L'application de ces mesures n'implique aucune censure ni restriction de la liberté de création », indique non sans naïveté l'OMS. Car on voit mal ce qui pousserait les financiers qui décident à Hollywood d'appliquer une recommandation certes politiquement correcte mais qui va à l'encontre du « business ».
« Le cinéma et la mode ne peuvent être accusés de provoquer le cancer, conclut l'OMS. Mais ils ne sont pas tenus de promouvoir un produit qui le fait. »
* L'industrie indienne du cinéma, la plus prolifique du monde (contraction de Bombay et Hollywood).
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