Le Temps de la Médecine : Habillés pour la santé
Un journal parisien rapporte, en 1859, qu'une « jeune femme, dont toutes les rivales admirent la finesse de la taille, meurt deux jours après le bal. Qu'est-il arrivé ? Sa famille veut avoir la cause de cette mort subite, à un si jeune âge. Il est décidé de pratiquer une autopsie dont le résultat étonne : le foie avait été percé par trois côtes ! Voilà comment on peut mourir à 23 ans, non pas par typhus ou en accouchant, mais à cause d'un corset. »
De tous les accessoires féminins, « le corset est sans doute le plus controversé », affirme Valérie Steele, une historienne de la mode. Son origine remonterait à la cotte du XIe siècle qui se présente comme une tunique munie de lacets. Son histoire se poursuit au XVe, avec la basquine, un corset sans manches, très ajusté, placé par-dessus la chemise qui est, elle aussi, lacée au dos. Au XVIe, le premier corps à baleine est introduit à la cour de Catherine de Médicis et, à la fin du règne de Louis XVI (de 1774 à 1791), les anecdotes ne manquent pas sur ces corps baleinés à l'excès. Les vapeurs des dames de l'époque ne sont pas de pure coquetterie, mais de malaises sérieux provoqués par le port de corsets trop serrés qui comprimaient l'estomac et le plexus solaire. On s'évanouissait alors beaucoup, et à tout propos, particulièrement après les repas. Outre les sels, le remède consistait, bien entendu, à délacer le vêtement. Le corps médical, dès Ambroise Paré, dénonce les effets délétères sur les organes internes, le squelette, mais aussi la fertilité. Plus tard, les féministes le condamneront et y verront un instrument d'asservissement.
Pourtant, la mode du corset n'a jamais vraiment disparu, même si elle s'est longtemps cantonnée aux accessoires des fétichistes. Mieux, aujourd'hui, la lingerie est très recherchée, et les spécialistes la confectionnent désormais sur mesure.
La directrice de la maison Cadolle, où l'on est corsetière de mère en fille depuis cinq générations, assure que, si, dans les années 1980, la fabrication était réservée aux films d'époque, aujourd'hui, il en sort près d'une douzaine chaque mois de ses ateliers, pour les tenues de mariée, les soirées, ou de la simple lingerie à porter sous les vêtements.
Hubert Barrère, directeur artistique de la maison de broderie Hurel, affirme qu'il recrute ses clientes parmi les branchées entre 25 et 40 ans. « Quand je me suis vue pour la première fois en corset, je l'ai rencontrée », explique l'une d'elles à la revue « Minotaure », qui consacre au corset un article de son deuxième numéro*. Celle dont il s'agit est cette autre elle-même, ce deuxième corps stylisé et hyperrévélateur de sa féminité. « Tout ce que j'aimais et n'aimais pas en moi à la fois, tout ce que j'avais tant de mal à habiller, tout ce que j'avais essayé de gommer, mon ventre rebondi, mon bassin méditerranéen, mes seins trop ronds pour être chic, se trouvait idéalisé. C'était moi, mais en mieux. »
Aujourd'hui, le corset est devenu un instrument de transformation, mais temporaire. Il ne s'agit plus de se transformer de l'intérieur, mais de jouer avec les apparences. Le corset qui remplace la gaine de muscles qu'on acquiert dans les salles de gym est aussi un substitut de la chirurgie plastique. Et c'est peut-être là son côté subversif : plutôt que d'asservir, il apprivoise le corps féminin, dompte la chair pour mieux en exhiber la violence... et, en toute liberté, affirment les corsetiers modernes.
* « Le Minotaure » est une nouvelle revue haut de gamme, trimestrielle, qui réunit spécialistes et artistes, pour décrypter les idées nouvelles. Dans le numéro 2, on lira notamment, outre « la Douleur exquise du corset », un dossier intitulé « Vivons manipulés » et un article de médecine « Vieillir sans pourrir ».
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