Le retour de la monarchie russe

Publié le 18/04/2001
Article réservé aux abonnés
1276505278Img21861.jpg

1276505278Img21861.jpg

P ATIEMMENT, mais sûrement, le président Vladimir Poutine est en train de mettre un terme à la liberté d'expression en Russie.

Dans sa démarche, il est aidé par divers facteurs qui favorisent la censure : la décennie qui a suivi le démantèlement de l'Union soviétique et la disparition de l'économie selon Marx a été pire que les précédentes et les Russes, accablés, pensent qu'un pouvoir fort va mettre un terme au chaos économique et social ; les grands organes de presse étaient aux mains de capitalistes sans scrupules qui se sont servis de leurs journaux et de leurs chaînes de télévision pour faire des affaires et raser les obstacles à leur enrichissement ; enfin, il n'y a pas en Russie, pays qui est passé de la monarchie absolue au totalitarisme marxiste-léniniste, de tradition des libertés.
NTV, chaîne de télévision, qui a été pratiquement nationalisée dans le cadre de la vente d'une partie de ses actions au géant public de l'énergie, Gazprom, appartenait à Vladimir Gousinski, un ploutocrate comme il y en a beaucoup en Russie et auquel il n'était pas difficile de reprocher quelque malversation ou activité non conforme à la loi. De l'économie centralisée, la Russie est passée au capitalisme sauvage et débridé et ceux qui se sont enrichis n'ont pu le faire que dans l'illégalité. M. Poutine, qui se présente comme un homme rigoureux et pur, a lâché ses juges contre ceux dont les médias le gênaient. Ce n'était pas difficile de déceler les abus de biens sociaux, les évasions fiscales ou les transferts de fonds vers l'étranger susceptibles de valoir aux patrons de presse quelques années de prison. Vladimir Goisinski étaient de ceux-là. Il a quitté la Russie, s'est retrouvé en Espagne où il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international ; il pourrait être extradé dans les heures qui viennent.
Mais NTV n'était pas que la propriété d'un homme probablement malhonnête. C'était une chaîne de télévision qui critiquait M. Poutine pour sa gestion de la Russie (qui n'est pas plus brillante que celle de Boris Eltsine), pour la guerre qu'il conduit en Tchétchénie, pour le naufrage scandaleux du sous-marin nucléaire Koursk, en somme pour tous les malheurs de la Russie et dont la liste est extrêmement longue. M. Poutine est le pur produit de sa formation : ancien du KGB, c'est un nationaliste dans l'âme et dès lors qu'il est président, il estime qu'il incarne la Russie à lui tout seul. Non seulement il ne supporte pas d'être critiqué, mais il ne comprend pas qu'on puisse le critiquer. Comme il ne peut pas se débarrasser de la Tchétchénie où son armée est incapable de vaincre les rebelles et d'où il n'acceptera pas de retirer ses forces, il lui est beaucoup plus facile de faire acte d'autorité en s'en prenant aux médias, c'est-à-dire à ceux qui expliquent tous les jours que la Tchétchénie est un bourbier. C'est le remède classique qu'utilisent les dictateurs : pour effacer une crise, il suffit de cesser d'en parler.
Les journalistes de NTV ont mené un combat admirable, mais perdu d'avance, pour leur indépendance. Officiellement, ce n'est pas le pouvoir qui leur interdit de s'exprimer, c'est la justice. De sorte que la Russie, qui n'avait plus grand-chose à perdre, perd quand même ce qui pouvait améliorer son quotidien, la liberté de parole.
Il est vrai que les Russes sont moins avides aujourd'hui d'informations que de quelques biens matériels qui leur font cruellement défaut. La défense de NTV n'a été assurée que par quelques intellectuels et cette fraction de la population qui croit encore aux bienfaits de la démocratie. Ce n'est pas vraiment un retour au communisme : M. Poutine sait que l'ancien système avait épuisé toutes ses ressources de dissimulation des problèmes avant de s'effondrer. C'est plutôt un retour au tzarisme, le pouvoir étant incarné par un homme fort et qui ne supprime les libertés que pour avoir celle d'agir à sa guise, à l'abri du jugement populaire.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6901