PRÉCISÉMENT, ce même Roland Barthes n'exposait les mythologies des années cinquante (Brigitte Bardot, le strip-tease, la DS Citroën) que pour en démasquer la répugnante idéologie petite-bourgeoise sous-jacente. Michel Maffesoli, lui, trouve notre époque formidable.
D'abord elle est moins pesamment théorique que la précédente, elle reprendrait facilement l'adage du « Faust » de Goethe : « Au début était l'action » et non le verbe. Pour ce faire, elle est tout entière dans le présent ; plus de vaines nostalgies ou d'utopies de lendemains chantants.
Mais à peine cela prononcé, Michel Maffesoli nous avertit en fait qu'il s'agit d'une « active passivité ». Les vêtements à la fois enveloppants et en même temps destructurés, le pantalon « baggy » sont le signe que l'on est « à la coule », donc « cool ». « Être cool », dit l'auteur, c'est ne plus correspondre à cette logique de la domination propre à la morale judéo-chrétienne… mais bien avoir une attitude plus sereine, plus détachée, moins offensive vis-à-vis de l'autre.
D'ailleurs, comme les matériaux, les tissus, tout devient plus fluide, plus souple. Le baroque de Christian Lacroix supplante le trop codifié de Dior. L'architecture se fait de plus en plus exubérante, le social se fait plus festif et tant pis pour les esprits chagrins (Maffesoli a tendance à les voir partout), c'est le grand retour de Dionysos !
La célébration du corps social.
De ce phénomène nous avons mille témoignages. D'abord, ce retour est un enracinement terrestre : jouissons ici, maintenant, carpe-diémons notre vie sans trop penser à l'avenir, retournement inattendu du « no future » que nous croyions réservé à la punkitude. Quant à cette jouissance, elle n'est pas forcément, mauvais esprit !, réservée à l'extase sexuelle. Elle concerne ce nouveau souci de soi et de son corps.
Saunas, spa, massages thaïs, californiens, tantra, tao, qi gong, longue est la liste de ce qui peut célébrer, magnifier le corps, jouissance « à fleur de peau ».
À partir de là, comment passe-t-on au thème dionysiaque suivant, qui est la célébration sociale de ce plaisir, la fête et ces « afoulements » ? Michel Maffesoli, dont la dialectique est montée sur tête rotative, nous explique que «c'est le corps social qui est célébré». Ce qui nous vaut des cris d'émerveillement devant tous les lieux de ferveur collective : «Rassemblements mondiaux de la jeunesse, pélerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, culte de possession afro-brésilien, etc.» C'est cela le vrai postmoderne, le retour des foules convulsives chères à Gustave Lebon, le renouveau de la fête païenne, pulsionnelle, célébrée naguère par Caillois.
Parmi les icônes de notre époque, Michel Maffesoli note le retour « new age » des elfes, sorciers et adolescents chevaleresques. Les royaumes de la magie et des ténèbres enfantent bien sûr Harry Potter après le succès du « Seigneur des anneaux » de Tolkien. Faut-il voir dans ce jeune héros qui affronte l'irrationnel une icône de la postmodernité ? L'auteur le croit, car Harry Potter «symbolise cet extraordinaire vouloir-vivre caractérisant ces jeunes générations qui ne s'en laissent plus conter»… et qui trouvent dans la Toile le nadir de la sociabilité.
Comme toute forte innovation, Internet a ses ravis, ses béats, voire ses précieux ridicules : blogs, messageries et courriels comblent de joie Michel Maffesoli, on peut grâce à Myspace se faire des amis, certes virtuels, mais cela renvoie « à une érotique plus diffuse »…
Tout en disant que notre époque est à la fois mobile et stimulante, notre facétieux sociologue repère les icônes marquantes de la société française : Zidane et Hallyday. Le foot et un chanteur quelque peu jauni, on ne voit point que cela soit brillamment novateur. Là encore, l'important c'est d'y croire.
Michel Maffesoli, « Iconologies », Albin Michel, 243 pages, 18 euros.
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