« SE METTRE AU LIT » lorsque survient la maladie a longtemps constitué l'une des premières règles de prescriptions admises aussi bien par le médecin que par le malade. Cependant, on sait aujourd'hui que l'alitement prolongé n'est pas sans risque. Ses effets délétères ont entraîné des changements importants dans la pratique médicale au cours de ces cinquante dernières années. La prophylaxie de la maladie veineuse thromboembolique et la mise au fauteuil le plus précocement possible dans les suites d'interventions chirurgicales sont communément admises.
En dehors des complications thromboemboliques, le décubitus prolongé provoque une baisse du volume sanguin (- 10 % en quatre jours, - 15 % en vingt jours) avec désadaptation à la position debout et à l'effort, une fonte musculaire précoce et rapide, notamment au niveau des muscles intervenant dans le maintien de la station debout (une immobilisation d'une semaine réduit le poids du muscle d'environ 20 %) et une déminéralisation squelettique. Secondaire à l'absence des forces de gravité, celle-ci ne s'observe qu'à partir de quatre semaines d'alitement.
Les enseignements de Bedrest.
Les études réalisées en décubitus anti-orthostatique, qui ont inclus une vingtaine de volontaires masculins en 2001 (étude Bedrest), ont montré une déminéralisation plus rapide en apesanteur que dans les conditions normales. Une deuxième série de travaux vient d'ailleurs d'être lancée au sein du service de recherche clinique du Medes (institut français de médecine et de physiologie spatiale). La première étape de l'étude baptisée Wise (Women International Space Stimulation for Exploration) inclut, depuis le 19 mars, douze femmes qui devront restés alitées pendant soixante jours. « L'un des volets de la recherche concerne la prévalence des caillots veineux asymptomatiques. Les femmes seront soumises à un suivi échographique hebdomadaire. En dehors de la médecine spatiale, ce type de recherche peut avoir des applications pour la prévention des phlébites et des accidents migratoires chez les personnes alitées lors des vols longue durée en avion », explique le Dr Arnaud Beck, l'un des cinq médecins qui assurent le suivi des femmes incluses dans l'étude.
Le décubitus strict, en dehors de quelques indications extrêmement limitées (suites immédiates opératoires, pathologies cardio-vasculaires aiguës), est donc reconnu aujourd'hui comme potentiellement dangereux. L'une de ses indications traditionnelles a été remise en cause par les recommandations de l'Anaes (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) de février 2000. Elles affirment : « Tant pour la lombalgie aiguë que pour la lombosciatique, il n'a pas été identifié dans la littérature d'arguments en faveur de l'effet bénéfique de la prescription systématique d'un repos au lit plus ou moins prolongé. La poursuite des activités ordinaires compatibles avec la douleur semble souhaitable. »
La première étude à avoir ébranlé le dogme du repos considéré comme une modalité thérapeutique bénéfique pour les personnes souffrant de mal de dos date de 1986. Deyo et coll. ont montré qu'un repos au lit (immobilité complète) pendant sept jours n'était pas plus efficace que deux jours de repos dans le contexte d'un traitement ambulatoire de patients lombalgiques. « C'est un bouleversement important », note le Pr Philippe Goupille (service de rhumatologie, hôpital Trousseau, Tours). « Avant, on disait aux patients qui souffraient d'une lombalgie aiguë de rester au lit. Maintenant, on leur dit "Moins longtemps vous restez au lit, mieux c'est". » En effet, le maintien d'une activité réduit de manière significative le nombre de journées d'arrêt de travail, tandis qu'un repos prolongé favorise l'invalidité.
Révolution culturelle.
Pour le médecin qui « ne doit plus faire de prescription systématique de repos au lit », la révolution culturelle peut être difficile à intégrer. Une étude* conduite en 2003 auprès de 4 475 médecins généralistes a montré que, si 56 % d'entre eux prescrivaient la poursuite, autant que possible, des activités de la vie quotidienne et éventuellement de la vie professionnelle, 20 % continuaient à prescrire un repos strict de deux à sept jours, 15 % un repos strict au lit tant que les douleurs persistent. Le mal de dos continue à représenter la plus importante cause d'incapacité et d'arrêt de travail dans les pays industrialisés.
La grossesse fournit aussi son contingent d'arrêts de travail et de prescriptions de repos, même si l'image de la femme enceinte alitée pendant des mois a pratiquement disparu. Ils font partie des stratégies de prévention de la prématurité mais « aucune donnée probante n'a montré qu'un alitement très strict chez une femme qui aura un travail prématuré va changer quelque chose par rapport à une activité modérée », explique le Pr Guillaume Magnin (hôpital Jean-Bernard, Poitiers). Il paraît raisonnable de réserver l'alitement strict « aux cas particuliers où le risque est très important : antécédents lourds ou si le col est largement dilaté avec une poche des eaux bombante et exposée », poursuit-il. Même chose en cas de saignement précoce en début de grossesse : « Les femmes sont inquiètes et ont tendance à ne pas trop bouger, mais rien ne démontre que cette mesure va changer quelque chose à l'évolution de la grossesse. »
Enfin, en cas de métiers à risque (travail de nuit, port de charges lourdes), il « s'agit plus d'un changement de type d'activité qu'une prescription de repos », conclut-il.
« Revue du praticien », tome 18, n° 648/649, pp. 505-509.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature