VOICI QUELQUES TEMPS, l'Ordre des médecins modifiait l'article 85 du code de déontologie relatif à l'exercice en cabinet secondaire. Ce type de pratique, jusque-là extrêmement encadré, était facilité par la nouvelle rédaction de l'article qui ne faisait par ailleurs plus référence à un «cabinet secondaire», mais à un «exercice en site distinct». Dans la nouvelle version, cette pratique reste encadrée, mais exercer sur un site distinct de sa résidence professionnelle habituelle peut désormais notamment se faire, «lorsqu'il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l'offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins».
L'objectif étant évidemment de désenclaver les zones rurales déficitaires en offre de soins.
Aujourd'hui, dans la même logique, l'Ordre souhaite aller encore plus loin dans le toilettage du code de déontologie, et veut réécrire l'article 65, qui traite du remplacement. Plus précisément, l'Ordre souhaite modifier la dernière phrase de l'article 65 qui précise que «le médecin remplacé doit cesser toute activité médicale libérale pendant la durée du remplacement». Un projet de modification qui avait d'ailleurs été acté par les ÉGOS (états généraux de l'offre de soins).
Les temps ont en effet changé. Si le médecin remplacé était à l'époque de la rédaction de cet article 65 interdit d'activité médicale libérale, c'était notamment dans le but d'interdire les travers de la « médecine foraine ».
Mais le problème n'est plus le même aujourd'hui et tous les moyens sont bons pour tenter de pallier les problèmes de la démographie médicale. L'idée est simple : si un médecin situé dans une agglomération n'a pas trop de problèmes pour se faire remplacer, il en va différemment dans les zones rurales où les praticiens qui y exercent encore peinent à trouver un remplaçant. Pour le Conseil de l'Ordre, en donnant à un médecin la possibilité d'exercer ailleurs pendant qu'il se fait remplacer, celui-ci pourrait profiter de cette possibilité pour aller consulter dans un cabinet secondaire pendant une journée ou plusieurs. Ou encore assurer une consultation dans un cabinet de groupe, ou dans une maison médicale implantée en zone sous-médicalisée qui pourrait ainsi fonctionner tous les jours avec des médecins qui se feraient remplacer dans leur propre cabinet. Ou enfin effectuer des vacations libérales dans un lieu mis à disposition par une collectivité territoriale, même si aucun médecin n'y exerce en tant que site principal.
Assouplir les conditions d'exercice.
À l'Ordre national des médecins, le Dr François Stefani suit de près ce dossier de la modification de l'article 65 du code de déontologie, dont il a réécrit lui-même une première version, ensuite amendée en séance, comme à l'habitude, par les conseillers nationaux. Pour lui, «l'idée est d'assouplir les règles d'exercice. Beaucoup de médecins disposent d'un lieu habituel d'exercice et d'un ou plusieurs sites distincts en complément. Ces médecins assurent un service public de continuité des soins, il faut leur faciliter la tâche». Selon le Dr Stefani, le principe général contenu dans la version actuelle de l'article 65 (ne pas exercer en libéral quand on se fait remplacer) serait maintenu, «car il faut que ce ne soit fait que dans l'intérêt de la population, mais des dérogations seront prévues».
Le projet ordinal de réécriture a été envoyé au conseil d'État pour avis. Mais le chemin reste long avant que la mesure ne devienne effective.
Pas avant la fin de l'année.
Au SML, le Dr Éric Henry est le « père » du concept de médecin volant. Que pense-t-il du projet ordinal ? «Ce n'est déjà pas mal», répond-il du tac au tac. Pour rendre son projet de médecin volant viable, Éric Henry demandait certes une modification de l'article 65 du code de déontologie, mais il demandait aussi que les médecins remplaçants et thésés puissent avoir leurs propres ordonnanciers et feuilles de soins, et qu'ils puissent disposer comme adresse professionnelle de celle de leur conseil départemental de l'Ordre de rattachement. Il estime donc que ce travail ordinal va dans la bonne direction, d'autant que, selon certaines indiscrétions dont il a pu bénéficier, les futures dérogations prévues à l'article 65 seraient nombreuses. Les conseils départementaux pourraient même, selon lui, être invités à faire preuve de souplesse dans l'interprétation du futur article.
Mais, à la CSMF, le ton est différent. Pour le Dr François-Charles Cuisigniez, président de la CSMF jeunes médecins, «cette modification de l'article65 est une mesure insuffisante et très frileuse. Il aurait fallu que l'article65 nouvelle mouture se contente de dire qu'un médecin remplacé peut continuer à exercer, un point c'est tout».
Car, pour François-Charles Cuisigniez, ce n'est pas parce que les médecins auront la possibilité de continuer à pratiquer en libéral ailleurs que dans leur lieu habituel d'exercice qu'ils se précipiteront pour aller exercer en zones sous-dotées en offre de soins. «Quand un médecin se fait remplacer, ajoute-t-il, c'est soit qu'il a besoin de vacances, soit qu'il a envie de lever le pied, notamment pour ceux qui exercent encore dans ces zones sous-dotées. Il aurait fallu autoriser un médecin à continuer à exercer dans son propre cabinet en se faisant aider par un médecin remplaçant.»
Plus généralement, le Dr Cuisigniez remarque une certaine concomitance entre cette réécriture de l'article 65 et le projet de l'assurance-maladie de mise en place des contrats santé-solidarité. Ces projets de contrat engageraient chaque généraliste exerçant dans une zone surdotée en offre de soins à participer à la PDS, à prendre une activité à temps partiel dans une zone sous-dotée proche de leur domicile, ou encore à participer à un réseau de santé. «En réécrivant soudainement cet article65, alors que nous le demandons depuis des années, conclut-il, le CNOM permet à l'UNCAM de viabiliser son projet, drôle de hasard…»
Le Dr François Stefani, du Conseil de l'Ordre, balaie ces assertions d'un revers de la main : «Il n'est pas question de ça, mais il est de notre responsabilité de répondre au défi des carences médicales dans les zones sous-dotées. Nous souhaitons libéraliser le plus possible le code de déontologie, tout en garantissant des soins de qualité.» Selon lui, la modification de l'article 65 ne sera pas effective avant la fin de l'année.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature