Syndrome coronarien
M. Gérard D., 69 ans, est adressé à la consultation de néphrologie par son cardiologue pour une suspicion de néphropathie ischémique par sténose athéromateuse des artères rénales (Nisaar). Ce patient a en effet une créatinine plasmatique à 230 µmol/l, une clairance calculée par la formule de Cockcroft à 25 ml/min et une protéinurie à 1,2 g/24 heures. La maladie athéromateuse systémique évolue depuis plusieurs années, la première pathologie d’organe ayant été quatre ans auparavant un syndrome coronarien aigu justifiant la pratique en urgence d’une coronarographie. Une lésion sténosante de la circonflexe a pu être dilatée et bénéficier de la pose d’un stent. Il existait également des lésions diffuses. Il y a deux ans, devant un AIT, on découvre une plaque sténosante de la carotide gauche. Le patient reçoit depuis plusieurs années un traitement antiagrégant plaquettaire. Un Doppler récent de l’aorte et des artères rénales révèle un anévrisme de l’aorte abdominale sous-rénale dont le diamètre est de 38 mm. Le « dopplériste » n’a pas visualisé d’anomalies hémodynamiques en faveur d’une sténose proximale de l’artère rénale uni- ou bilatérale, mais les plaques sont présentes au niveau des ostiums, sans qu’il y ait de sténoses ostiales réellement identifiées. La taille des deux reins est modérément réduite avec un diamètre longitudinal du rein droit de 9,5 cm et de 10 cm pour le rein gauche. Le collègue cardiologue souhaite la réalisation d’un angioscanner des artères rénales pour confirmer ou infirmer la présence de sténoses des artères rénales.
Des facteurs de risque
Cette maladie athéromateuse systémique survient dans un contexte de facteurs de risque vasculaire avérés : un tabagisme à 20 paquets/année qui a duré quarante ans et a été stoppé à 60 ans, une hypercholestérolémie probablement ancienne qui n’est traitée que depuis l’épisode coronarien, une hypertension artérielle connue à la médecine du travail dès l’âge de 50 ans et qui n’a bénéficié d’un traitement que depuis six ans.
Aggravation récente de l’insuffisance rénale
Les contrôles biologiques effectués au cours des trois dernières années, depuis l’épisode du syndrome coronarien aigu, ne montrent pas d’évolution très significative de l’insuffisance rénale. La créatinine plasmatique était à 200 µmol/l quelques semaines après la réalisation de la coronarographie et oscille depuis autour de 210-215 µmol/l. C’est l’augmentation récente à 230 µmol/l qui amène le cardiologue et le médecin traitant à s’interroger sur la présence d’une Nisaar. Le traitement antihypertenseur que reçoit le patient depuis trois ans associe un IEC et un antagoniste calcique. La pression artérielle est normale à la consultation (135/ 85 mmHg).
Le néphrologue souhaite mieux reconstituer l’histoire de cette insuffisance rénale et son antériorité. Il demande en particulier à consulter des résultats d’examens biologiques réalisés avant la coronarographie. Il sera difficile de les obtenir car le patient avoue n’avoir pas eu de contrôle biologique régulier avant la survenue de ce syndrome coronarien. On retrouvera un seul examen sanguin réalisé dix-huit mois avant le syndrome coronarien, lequel nous apprend que la valeur de la créatinine plasmatique était à cette époque de 118 µmol/l, correspondant à une clairance calculée de 48 ml/min. Ainsi, dans une période maximale de deux ans qui encadre la réalisation de la coronarographie, le taux de créatinine plasmatique est passé de 118 à 200 µmol/l et la clairance glomérulaire de 48 à 25 ml/min.
Le patient garde un mauvais souvenir de la coronarographie. Celle-ci a été laborieuse, l’opérateur ayant du mal à monter le cathéter. L’examen a été suivi de l’apparition de nombreuses « plaques rouges violacées » sur les cuisses et les jambes, dont l’évolution a été favorable en quelques semaines. Le patient se rappelle avoir été très fatigué pendant cette période et avoir eu de grandes difficultés à marcher.
Commentaire 1
Une histoire néphrologique qui peut être mieux illustrée.
Aujourd’hui, la société savante relayée par la haute autorité de santé recommande de faire chaque année, après 60 ans, un dosage de la créatinine plasmatique. Pourquoi ? Tout simplement parce que le vieillissement du rein augmente la prévalence de l’insuffisance rénale chronique (IRC) après 60 ans. Les études épidémiologiques ont montré que plus de 20 % de la population âgée de plus de 60 ans avaient une IRC définie par une clairance calculée par la formule de Cockcroft < 60 ml/min. Notre patient cumulait des facteurs de risque de survenue d’événements cardio-vasculaires (tabagisme, hypercholestérolémie, hypertension non traitée). Ces mêmes facteurs favorisent la survenue d’une IRC par néphropathie vasculaire.
Commentaire 2
Une histoire typique d’embols de cholestérol postcoronarographie.
L’apparition d’un livedo au niveau des membres inférieurs au décours d’une coronarographie doit faire penser à la migration d’embols de cholestérol dans les artères des membres inférieurs. Cet accident était d’autant plus probable que l’exploration endovasculaire a été « laborieuse » dans sa réalisation technique. Des plaques d’athérome ont été décollées au cours du cathétérisme, plaques qui ont migré dans les artères des membres inférieurs, à l’origine d’une artériopathie ischémique aiguë responsable des difficultés à la marche décrites par le patient pendant quelques semaines. L’évolution de cet accident ischémique a été heureusement favorable.
Ce ne fut pas le cas pour le rein. Il est très vraisemblable que l’aggravation de l’insuffisance rénale découverte au décours de la coronarographie soit la conséquence de la migration d’embols de cholestérol à l’intérieur des deux reins.
Commentaire 3
La discussion étiologique de l’insuffisance rénale postcoronarographie.
La première cause qui vient à l’esprit lorsqu’on observe une élévation de la créatinine au décours d’un examen radiologique avec produits de contraste est de retenir la néphrotoxicité possible des produits iodés sur le rein. C’est une analyse qui reste justifiée en particulier chez les sujets diabétiques, en insuffisance cardiaque ou tout simplement atteints d’une IRC.
D’importants progrès pharmacologiques ont été réalisés au cours des dernières années pour réduire la néphrotoxicité des produits de contraste, notamment leur charge osmotique au niveau de la médullaire du rein. Aujourd’hui, les produits de contraste iodés hydrosolubles sont des monomères tri-iodés qui réduisent au minimum la charge osmotique. Il est même possible de réduire encore cette néphrotoxicité chez les sujets à risque en faisant précéder l’examen radiologique de la prise d’un agent antioxydant (N’Acétylcystéine). Il est possible que cette cause soit trop souvent invoquée, notamment en milieu cardiologique ou de radiologie interventionnelle au décours d’une exploration endovasculaire avec injection de produits de contraste iodés.
En effet, le diagnostic d’accident ischémique rénal par migration d’embols de cholestérol au cours d’une exploration endovasculaire mérite d’être discuté aussi fréquemment que la néphrotoxicité des produits de contraste. C’est un accident grave et fréquent au décours d’une coronarographie chez un sujet âgé porteur de lésions systémiques d’athérome. Ce risque d’accident mériterait qu’une discussion sur le rapport bénéfice-risque de la méthode d’exploration choisie soit engagée entre néphrologue et cardiologue lorsqu’il existe une IRC préalable.
Les embols de cholestérol suite aux explorations endovasculaires réalisées en milieu cardiologique ou en radiologie interventionnelle peuvent précipiter un sujet âgé en IRC stable par vieillissement rénal dans l’insuffisance rénale terminale (IRT) relevant alors d’un traitement par dialyse et de ses conséquences sur la qualité et l’espérance de vie.
La prévention secondaire de l’IRT chez le coronarien en IRC stable passera probablement, dans un proche avenir, par l’utilisation de nouvelles méthodes d’exploration externe des artères coronaires.
Le tableau clinique n’évoquait pas le diagnostic d’une Nisaar. En effet, ce patient avait une insuffisance rénale stable depuis plus de trois ans, séquellaire de l’accident ischémique par embols de cholestérol et une hypertension artérielle contrôlée sous IEC (en cas de Nisaar, l’IEC fait progresser l’IRC). Enfin, le Doppler ne montrait aucun élément en faveur d’une sténose avec retentissement hémodynamique et la taille des reins était conservée. La protéinurie doit être interprétée comme l’expression très probable de lésions glomérulaires associées à la néphroangiosclérose.
Commentaire 4
La surveillance de cette insuffisance rénale par le médecin généraliste.
Compte tenu du niveau actuel de l’IRC (clairance à 25 ml/min), cette surveillance doit se faire en collaboration étroite avec le néphrologue.
En effet, ce patient âgé de 69 ans est menacé d’IRT dans les prochaines années. Il y aura d’autres menaces pour ses reins, notamment lorsqu’il faudra intervenir sur la lésion anévrismale de l’aorte abdominale sous-rénale.
Le néphrologue devra participer à la discussion sur la méthode qu’utilisera le chirurgien vasculaire pour traiter cette lésion anévrismale, sur la technique anesthésique, sur les explorations radiologiques préopératoires.
La prise en charge d’un malade atteint d’une maladie vasculaire systémique doit aujourd’hui se faire dans le cadre de rencontres multidisciplinaires qui regroupent le cardiologue, le chirurgien vasculaire, le radiologue, le néphrologue, le neurologue et le médecin généraliste. Les réseaux de santé ville-hôpital doivent favoriser la prise en charge globale du malade.
NEPHROLOGIECENTRE HOSPITALIER DE SAINT-BRIEUC
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