Le gouvernement s'est engagé résolument et désespérément dans une politique économique qui, loin de s'adresser à la dimension réelle du problème, n'est constituée que de mesurettes dont il espère, sans en être sûr, qu'elles vont « stabiliser » les déficits publics.
Le traitement du déficit de l'assurance-maladie relève de cette politique. Quand on augmente le prix du tabac, fût-ce de 50 %, soit on souhaite, comme l'a affirmé Jean-François Mattei, diminuer le nombre de fumeurs - ce qui correspond à un souci légitime de santé publique -, soit on attend une recette fiscale plus importante. Les espoirs du ministre de la Santé, chargé de l'assurance-maladie (et Dieu sait qu'on s'en est félicité !), seront donc fatalement déçus : si le nombre de fumeurs diminue, la recette sera insuffisante, ou alors leur nombre ne baissera pas, et ce sera un échec sanitaire en échange d'un succès fiscal.
Baisser l'IR et augmenter le reste
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a cru bon de diminuer l'impôt sur le revenu (IR). Il l'a fait parce que Jacques Chirac y tient. Mais il ne peut pas abaisser l'IR et augmenter le reste, le gazole, le forfait hospitalier, le tabac et bientôt la fiscalité des placements financiers pour financer la prise en charge des personnes âgées, comme l'a annoncé le ministre des Affaires sociales, François Fillon. La logique la plus élémentaire consistait à maintenir l'IR à son niveau actuel et à éviter des taxes sélectives qui sont injustes parce qu'elles pèsent sur des catégories spécifiques de Français : ceux qui sont assez malades pour aller à l'hôpital, par opposition aux bien-portants ; ceux qui consomment du gazole, parce qu'on les y a encouragés jusqu'à présent et parce que les voitures Diesel sont plus économiques ; ceux qui fument et qui peuvent aussi être pauvres.
Un gouvernement qui a la très sérieuse intention d'accompagner la retraite par répartition d'une retraite par capitalisation se tire une balle dans le pied s'il aborde son projet grandiose en taxant les placements financiers. On n'encouragera jamais les Français à épargner à long terme si, d'un an à l'autre, on change la règle fiscale. Une retraite par capitalisation n'existera et ne soulèvera l'enthousiasme des concitoyens que si les fonds placés ne sont pas imposés (donc déduits du revenu) et si le capital accumulé est complètement détaxé. D'ailleurs, si le gouvernement était cohérent, il aurait remplacé la baisse de l'IR par la déduction des sommes placées dans un fonds de retraite par capitalisation (en prévoyant un plafond).
Des cailloux dans l'abîme
Venons-en au vif du sujet : quand on dit, de la manière la plus officielle et la plus solennelle qui soit, que le déficit de l'assurance-maladie est abyssal, on n'annonce pas une solution qui consiste à jeter quelques cailloux dans le gouffre. On commence par admettre que le merveilleux système de soins que nous avons est en danger de mort, qu'il a très bien fonctionné pendant trente ans, mais qu'il ne fonctionne plus du tout depuis trente ans parce qu'il présente un déficit chaque année (et un déficit croissant) ; ensuite, on explique aux Français, comme d'autres tentent de le faire, par exemple Bernard Kouchner, que, s'ils veulent conserver leur système de soins, nos concitoyens doivent en payer le coût.
Pratiquement, pour ne rien enlever à la splendeur pharaonique de la Sécurité sociale, il fallait augmenter la CSG de deux points, soit une ponction de 18 milliards d'euros sur le produit intérieur brut (PIB), ou encore de près de 500 euros par an sur un salaire de 2 000 euros par mois. Impensable ? Ce qui est encore moins concevable, c'est que le salarié à 2 000 euros par mois, qui n'est pas riche, dépense, en soins et chaque année, 500 euros de plus qu'il ne paie.
Bien entendu, le gouvernement de M. Raffarin a écarté l'idée d'une hausse de la CSG, ne fût-ce que d'un point (ce qui aurait « stabilisé » le déficit), ne fût-ce que d'un demi-point, pour une seule raison : on ne baisse pas l'IR si on augmente un autre prélèvement, surtout celui qui ressemble le plus à un impôt.
Ce qu'il faut dire aux Français
Mais si M. Raffarin voulait rester dans la cohérence économique tout en tenant compte des oukases du président de la République, il pouvait lancer immédiatement une réforme en profondeur. Il pouvait dire aux Français : « Je veux laisser intact votre revenu ; vous en faites ce que bon vous semble. Mais comme dans les supermarchés, vous paierez cinq euros, et non pas quatre, le prix d'un soin qui vaut cinq euros. » Cela signifie que, lorsque les recettes de l'assurance-maladie sont dépassées par les dépenses, le consommateur de soins devra payer la différence. Bien entendu, on ne ferait pas jouer la nouvelle règle contre les démunis, les maladies à longue durée, les maladies graves. Mais elle serait valable pour tous les autres : l'assurance-maladie prend en charge à 100 % les pauvres et les maladies graves, comme les cancers, financées par la redistribution des recettes : pour tout le reste, elle fixe un prix. Si la consultation, le massage, l'injection coûtent plus cher soit le malade paie la différence de sa poche, soit il se retourne vers son assurance complémentaire, laquelle entre-temps aura augmenté les cotisations. Dans tous les cas, par le biais de la CSG, par le biais des mutuelles, par son propre revenu, le patient doit payer plus.
A l'heure actuelle, il n'existe pratiquement pas de Français qui ne parle de sa feuille autrement qu'en mentionnant le salaire net. Pourquoi ? Parce que ce qui importe, c'est ce que rapporte le salarié à la maison, parce qu'il se moque complètement des prélèvements sociaux qui ont été faits sur son salaire brut. Ce qui ne l'empêche pas de considérer que, grâce à ces prélèvements, d'ailleurs élevés, il est quitte de santé et de sa retraite. Eh bien, non. Et il faut le lui dire.
Quand les Français paieront une partie des soins de leur poche, ils veilleront à ne pas à en consommer excessivement ; ils éviteront de se rendre aux urgences pour un oui ou pour un non ; ils préféreront un bilan préventif chez le généraliste chaque année à des soins immédiats et coûteux pour une maladie qu'ils auront négligée ; ils amélioreront donc leur qualité de vie ; ils vieilliront en bonne santé ; et enfin, l'abîme du déficit aura été comblé.
Les soignants ont besoin de la réforme
Le pire, peut-être, c'est qu'on a pris l'habitude d'imputer le « trou » aux soignants et aux médicaments, ceux-là même qui nous sauvent. Ah ! Si on n'avait pas augmenté les honoraires des généralistes ! Dans ce cas, pourquoi ne pas dire au boucher que sa viande est trop chère ou au mécanicien que sa réparation est hors de prix ? Conçoit-on un système de soins viable sans assurer un revenu décent à ses acteurs ? C'est pourquoi les médecins et autres soignants sont encore plus concernés par l'équilibre des comptes de l'assurance-maladie que les autres Français, tout prêts à en faire leurs têtes de Turc.
Face au déficit vertigineux de l'assurance-maladie, il fallait accélérer la réforme, pas la différer. N'oublions pas que les déficits alimentent la dette nationale et qu'une partie de nos impôts (ceux qu'on prétend réduire) ne sert qu'au remboursement de cette dette, que le budget du financement de la dette est supérieur au budget de la défense. Qu'est-ce qui est préférable : payer pour rembourser la dette ou payer pour se soigner ? Consacrer un certain pourcentage de son budget à la voiture, ou le consacrer à sa santé ? Placer une fragile passerelle au-dessus de l'abîme au risque d'y tomber ou refermer le trou une fois pour toutes ?
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