La dévastation causée à la Turquie par les attentats terroristes a été accueillie par diverses analyses : d'aucuns pensent que l'intervention anglo-américaine en Irak suffit largement à expliquer la recrudescence et la virulence des attentats ; d'autres reconstituent la stratégie d'Al-Qaïda, qui aurait visé un pays musulman, mais laïc, allié d'Israël et des Etats-Unis et désireux d'entrer dans l'Union européenne : ou imaginent un plan pour déstabiliser le monde musulman, avec l'espoir d'y installer des régimes fondamentalistes.
Il nous semble pourtant que le projet d'Al-Qaïda, ou plus précisément de la myriade de réseaux qui s'inspirent de son exemple, n'écarte aucune aire géographique : si les terroristes avaient le temps de s'occuper de la Laponie, ils y feraient sauter des voitures piégées. L'arme est la même partout, c'est une charge explosive énorme aux mains d'un homme prêt à y laisser la vie. La cible est tout le monde, sauf les terroristes eux-mêmes. Pas d'Etat, pas de religion, y compris la leur, pas de région qu'ils ne souhaiteraient livrer aux flammes et à la destruction.
Des ennemis irréductibles
Ils n'ont pas attendu l'invasion de l'Irak pour attaquer New York et Washington le 11 septembre 2001. L'islam du PKK, le parti au pouvoir à Ankara, n'est sûrement pas leur tasse de thé. Mais, dans les faits, la Turquie, en définitive, n'a pas participé à l'invasion de l'Irak, n'a pas autorisé les Américains à ouvrir un front septentrional pour attaquer et n'a pas envoyé de force d'occupation. En l'occurrence, on a affaire à une mentalité tellement haineuse que la seule velléité des Turcs de jouer un rôle stratégique dans la région aura été châtiée.
Le tableau de chasse de la galaxie terroriste est considérable : ils ont fait de très nombreuses victimes au Kenya, en Tunisie, au Maroc, à Bali, en Indonésie, en Irak, en Arabie saoudite, en Turquie. Ils sèment la peur dans le monde, affaiblissent les échanges, freinent ou empêchent les voyages, font chuter les Bourses, pèsent sur la croissance. Ils donnent du fil à retordre aux Américains en Irak et en Afghanistan.
Ils peuvent revenir en Europe occidentale et aux Etats-Unis. La menace n'a nullement disparu. Il n'empêche que les nouveaux fronts qu'ils ont ouverts se situent partout où les services de renseignements font défaut ou sont insuffisants, partout où on ne les attendait pas vraiment ; partout où il leur est plus facile de trouver des relais, c'est-à-dire des fondamentalistes musulmans prêts au « martyre ».
La leçon est double : en Europe et aux Etats-Unis, la traque préventive des suspects doit être poursuivie avec acharnement. Le seul moyen d'empêcher les terroristes de sévir, c'est de les obliger à courir pour échapper aux contrôles ou aux arrestations. C'est une guerre mondiale qui nous oppose à eux. Nous, c'est-à-dire tous les civils du monde qui veulent vivre dans des sociétés pacifiques. La moindre indulgence à l'égard de ces assassins, le moindre compromis avec l'intégrisme, le plus faible espoir d'une solution négociée nous conduirait non seulement à trahir nos propres principes, mais nous exposerait à un redoublement de la violence.
Le remède de la fermeté
Aussi erronée qu'ait été l'analyse qui a conduit à l'invasion de l'Irak, aussi discutable que soit l'idéologie de George W. Bush et de certains de ses conseillers, il demeure que, pour combattre le crime, la fermeté de M. Bush et de Tony Blair ne représente pas le plus médiocre des remèdes. Les blessures profondes de la Turquie conduiront son gouvernement et surtout son armée, gardienne de la laïcité instaurée par Mustapha Kemal, à réagir sans prendre de gants. Le chef du gouvernement, M. Erdogan, a reconnu que ses services de renseignements n'avaient pas été à la hauteur. Mais les Turcs ne sont pas des tendres, ils l'ont montré dans leur combat contre la rébellion kurde et la ferveur de leur nationalisme est grande. Ils se vengeront avec une violence comparable à celle de leurs agresseurs.
On ne s'en réjouit pas, car c'est là où la démocratie est la plus fragile ou même inexistante qu'ont frappé récemment les terroristes et le retour de bâton ne sera assorti d'aucun des droits de l'homme qui accompagnent la répression exercée par les démocraties parlementaires. Les militaires turcs ne feront pas de quartier ; et le débat qui se poursuit sur les détenus de Guantanamo, pour lesquels les organisations internationales des droits de l'homme réclament des conditions matérielles et judiciaires conformes au fonctionnement des sociétés ouvertes, va fatalement se tarir.
La colère des victimes
En effet, si la hargne, la rage, la cruauté et le cynisme des terroristes fondamentalistes font peur à des milliards d'humains, la colère des gouvernements directement touchés par les attentats est immense. La traduction de cette colère va hélas augmenter le niveau de violence. Mais, encore une fois, nous ne pouvons avoir aucune complaisance pour un ennemi aussi déterminé qui désigne ses cibles, comme autrefois les nazis désignaient ceux qui devaient mourir tout de suite et ceux qui pouvaient encore travailler.
Le nihilisme des auteurs d'attentats-suicides est une forme finale de narcissisme, de triomphalisme associé à la mort et à la destruction, et bien plus qu'une revanche sur l'adversité qui les aurait humiliés, c'est une façon d'exercer leur supériorité.
Comme chaque fois que Ben Laden répète que nous aimons la vie alors qu'il aime la mort. Ce qui ne l'empêche pas de la réserver à ses subordonnés pendant que lui reste en vie, une vie qu'il s'efforce de ne pas perdre en fuyant sans relâche dans les montagnes frontalières qui séparent le Pakistan de l'Afghanistan.
La diplomatie française, à laquelle les Américains eux-mêmes ont fini par rendre hommage, ne saurait imaginer, cette fois, que la France sera épargnée parce qu'elle a une stratégie différente de celle des Anglo-Américains. Elle ne saurait trouver un répit, par exemple sous le prétexte qu'elle conduirait au Proche-Orient une politique plus favorable aux Palestiniens et désignerait l'actuel gouvernement israélien comme un fauteur de troubles. Les services de renseignements français se sont montrés très efficaces depuis le 11 septembre, même si la prévention et la sécurité laissent encore à désirer. Nous devons donc redoubler de vigilance, harceler les milieux fondamentalistes sans relâche, les empêcher de s'organiser. C'est de cette méthode que viendra le salut, pas d'une politique d'apaisement. On ne peut pas apaiser ces enragés.
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