Chronique électorale
On pouvait croire que, des deux principaux candidats, le plus menacé finirait par déraper. C'est l'inverse qui s'est produit.
La moyenne de sondages donne Lionel Jospin gagnant au second tour avec une marge de 2 à 4 %. La sérénité aurait donc dû lui conseiller de ne rien dire qui réduisît son capital de suffrages. Le voilà pourtant qui, pendant son voyage de retour de La Réunion, fait de Jacques Chirac le portrait d'un homme « fatigué, vieilli, victime de l'usure ».
Quel besoin a-t-il soudain ressenti, sinon celui de régler les comptes de la cohabitation, qu'il a si mal supportée et qui lui laisse tant de rancur ?
Qu'il ne s'étonne pas si, de toutes parts, on le déclare indigne d'assumer la fonction présidentielle, d'avoir « fondu un plomb » ou de relever soit de la pathologie, soit de cet épuisement nerveux qu'il attribue à son adversaire (ou faudrait-il dire « ennemi » ?).
Ni logique ni adroit
Restons calmes : qu'un homme qui aura 65 ans en juillet se moque de l'âge de son aîné de quatre ans, voilà qui ne nous paraît ni logique ni adroit, dans la mesure où d'autres candidats plus jeunes peuvent retourner son compliment au chef du gouvernement : M. Chirac a peut-être l'âge de la retraite, mais si M. Jospin respecte les « avancées » du socialisme, il aurait dû prendre la sienne depuis plus de quatre ans.
Et s'il est vrai que l'annonce de sa victoire par les sondages semble lui avoir donné du tonus, il a montré à plusieurs reprises son exaspération contre le président qui lui a mené une vie dure, contre le patronat qui n'a pas aimé ses 35 heures, contre tous ceux qui lui ont exprimé leur opposition à son programme.
Jalonnée par plusieurs remaniements gouvernementaux importants, la législature qui s'achève n'a pas été exactement un modèle de stabilité, en partie parce que M. Jospin se fâche souvent, parfois contre ses amis les plus proches qu'il a su sacrifier le moment venu, quand ils devenaient un fardeau politique. User les hommes ou les femmes en grand nombre, c'est montrer sa propre usure, et, de ce point de vue, M. Jospin n'a pas vraiment de leçons à donner à M. Chirac qui, pour tout regard impartial, est un modèle de fraîcheur malgré quarante ans de politique, donc de compromissions, de trahisons, et de renversements d'alliances.
Le coup de grâce ?
Par conséquent, le propos est non seulement venimeux, il est faux ; et il n'aurait pas dû être prononcé par celui des deux dont les nerfs sont le moins solides. Aussi bien n'est-il pas venu à l'esprit du chef de l'Etat de faire le procès du caractère de M. Jospin. Certes, le nom du Premier ministre n'est pas associé à quelques « affaires », comme c'est le cas pour le président. Mais M. Chirac s'en est tenu à ce qu'il a déclaré dès le début de la campagne, à savoir qu'il éviterait toutes les attaques personnelles ; et il l'a répété encore ces derniers jours. De sorte qu'en refusant à M. Chirac la stature qu'il a effectivement, le chef du gouvernement risque de soulever de nouveaux doutes quant à sa propre capacité à revêtir les habits présidentiels.
Non sans un certain cynisme, sans doute acquis à la faveur d'un exercice du pouvoir qui aura altéré son caractère, M. Jospin a pensé peut-être que le peuple ne lui tiendrait pas rigueur de sa charge contre M. Chirac, ou encore que, dès lors que l'adversaire semblait perdre pied, il devait l'achever sans autre forme de procès. Il aura ainsi prouvé que son « désir », présenté comme un noble sentiment qui dicterait sa démarche, n'est pas autre chose que le bon vieil appétit de pouvoir qui guide tous les candidats ; et qu'il ne se pardonnerait pas de manquer un objectif, la présidence, qu'il convoite depuis au moins cinq ans et au service duquel il estime avoir appliqué, à n'en pas douter, le meilleur programme possible.
Son autosatisfaction, maintes fois exprimée et à peine assortie de vagues doutes empruntés au genre littéraire, indique que M. Jospin est convaincu qu'il mérite d'être élu président et que, en conséquence, M. Chirac ni aucun autre candidat ne le mérite. Il l'a d'ailleurs dit la semaine dernière quand il a décrit l'élection du président en 1995 comme une « mystification ». C'était du même coup présenter 52 % des électeurs comme des imbéciles. Ce mot-là, mystification, était encore plus violent et plus injuste que le vieillissement, la fatigue ou l'usure du président.
M. Jospin doit faire attention : s'il est complètement sûr d'avoir raison, si, pour démolir son rival, il en fait un fantoche, si, au fond de lui-même, il n'accepte pas de perdre, il est sur une très mauvaise pente.
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