RENDRE L'ACCÈS AU SPÉCIALISTE moins anarchique : c'était un des objectifs de la réforme du médecin traitant et des parcours de soins, même si les ministres d'alors (le tandem Douste-Blazy/Bertrand) avaient plutôt mis l'accent sur l'accroissement de la qualité des soins grâce à une meilleure coordination.
Le pari du changement des comportements a été partiellement gagné et ce dès l'entrée en application de la réforme. Selon une enquête fouillée de l'IRDES (1) sur l'accès aux spécialistes, qui a comparé la situation de 2006 à celle de 2004, le recours direct non coordonné au spécialiste libéral ou hospitalier est devenu beaucoup moins fréquent pour les patients ayant désigné un médecin traitant, ce qui démontre l'impact de ce dispositif sur les habitudes des Français. Le mécanisme de pénalités financières (augmentation du ticket modérateur) pour les patients qui contournent le parcours de soins n'y est pas pour rien : le taux de remboursement des consultations « hors parcours » était passé de 70 % en 2005 à 60 % début 2006. En pratique, l'IRDES a mesuré, non pas l'évolution de l'activité globale des spécialistes (une étude de la CNAM avait déjà montré la baisse de 4 % du volume des CS en 2006), mais l'évolution du mode de recours – direct ou indirect – dans toutes les disciplines juste avant et juste après la réforme grâce à deux enquêtes Santé protection sociale 2004 et 2006.
Toutes spécialités confondues, la proportion de consultations en accès direct libre est passé de 32 % à 28 %. Cette baisse globale peut sembler timide, mais elle masque des écarts considérables entre spécialités. La diminution des recours au médecin en accès direct est sévère en dermatologie (de 61 % à 41 % soit une diminution de 33 %) et plus encore en ORL (de 39 % à 16 %, soit une régression de 58 %), deux disciplines pour lesquelles la proportion de consultations « libres » (sans adressage préalable d'un autre médecin) était justement très importante. Ces chiffres accréditent aposteriori certaines déclarations alarmistes de 2006 de la part de représentants des dermatologues et des ORL faisant état de « creux » inédits dans leurs carnets de rendez-vous, alors que certaines caisses martelaient le message sur la fin de l'accès direct au spécialiste. Au grand dam des syndicats qui auraient souhaité une présentation plus « équilibrée » de la réforme. D'autres spécialités où l'accès direct était moins fréquent avant la réforme ont quand même subi les effets du « filtre » du médecin traitant et des pénalités financières hors parcours. La part de séances procédant d'un accès direct a ainsi baissé de 28 à 23 % en psychiatrie chez les adultes de 26 ans et plus (– 20 %) et de 15 à 7 % en cardiologie (– 55 %). En radiologie, le recours direct qui était déjà limité avant la réforme (7 %) est devenu résiduel (4 %).
En revanche, selon cette étude et contrairement à certains discours syndicaux, la part d'accès direct libre a peu évolué entre 2004 et 2006 en rhumatologie, pneumologie, chirurgie et endocrinologie.
Dans la plupart des spécialités, le fait de consulter après un conseil du médecin généraliste traitant a progressé (mouvement de balancier), principalement en dermatologie, ORL et cardiologie (l'accès via le spécialiste lui-même restant stable). Au total, cette analyse «montre qu'il existe une tendance au recentrage de l'accès au spécialiste autour du médecin généraliste, et ce dès la mise en place de la réforme du parcours de soins».
Le bouclier de l'accès spécifique.
En revanche – est-ce une consolation pour les partenaires conventionnels – l'accès aux trois spécialités protégées par un accès direct autorisé dit «spécifique» (ophtalmologie, gynécologie, psychiatrie pour les 16-25 ans) n'a guère été modifié. En clair, le fait d'épargner aux patients des pénalités lorsqu'ils consultent dans les conditions de cet accès spécifique (prescriptions de verres correcteurs et suivi du glaucome lors de l'accès à l'ophtalmologue ; pour les gynécologues-obstétriciens, consultations périodiques dans le cadre du dépistage, de la contraception, de la grossesse... ; jeunes de 16 à 25 ans pour les psychiatres) a bel et bien « amorti le choc » de l'évolution des habitudes des Français dans la foulée de la réforme du médecin traitant.
Néanmoins, si l'on exclut ces trois disciplines en accès spécifique, l'étude constate que «13%» des consultations spécialisées réalisées pour des patients qui ont pourtant un médecin traitant ne respectent pas le parcours de soins. Non anecdotique, ce chiffre sur l'accès direct « coûte que coûte » est en tout cas supérieur à celui avancé par la CNAM qui affirme que moins de 2 % des actes se font hors parcours de soins pour les patients inscrits.
La proportion d'assurés adeptes du « hors piste » dans le système de soins français peut-elle encore baisser ? Il sera intéressant de mesurer l'évolution du recours au spécialiste après septembre 2007, c'est-à-dire depuis que les consultations non coordonnées sont remboursées seulement à… 50 % par la Sécurité sociale.
(1) Institut de recherche et documentation en économie de la santé.
« Modes d'accès aux spécialistes en 2006 et évolution depuis la réforme de l'assurance-maladie » (août 2008). L'enquête a interrogé en 2006 environ 8 000 ménages et 22 000 personnes.
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