Idées
DE LA SENSIBILITÉ, il en faut, même si la sensiblerie guette - répétons-le, avec l’animal, on est sans cesse tenté de bêtifier. Saluons l’heureuse langue anglaise, qui distingue les « animals » des « pets », gentils animaux domestiques qui sautent sur nos genoux quand nous sommes tristes.
Avec Yves Christen, cette confusion n’est pas possible. Lui n’est à l’aise qu’avec les antilopes, les baleines, les léopards et... le singe. C’est ce dernier qui inaugure son étude, fait sa couverture et nous confronte au « regard de l’autre ». « Nul ne peut aujourd’hui croiser dans un zoo le regard d’un grand singe sans éprouver une émotion particulière. Sans ressentir aussi une forme de culpabilité vis-à-vis de ce prisonnier », dit-il.
Terrible est la tâche de l’auteur. Il doit d’abord établir que les animaux possèdent les qualités et facultés que nous leur avons toujours déniées. « Le plus grand de tous les préjugés de notre enfance, c’est de croire que les bêtes pensent », disait Descartes. Et son disciple Malebranche battait fort sa chienne : « Elle crie mais ne sent pas ! » Oui, il lui faut, disions-nous, faire apparaître chez girafes et dauphins l’émotion, la raison, le langage, une présence à un monde signifiant (« Umwelt »), une culture, partant, des qualités artistiques, etc.
Création et instinct.
Ensuite, et c’est le cur du débat, dévoiler l’animal, non comme un simple individu, mais comme une authentique personne. Articulées à de riches exemples, notamment africains, les démonstrations d’Yves Christen touchent plus par leur variété que par les conclusions qu’il en tire.
Arrêtons-nous sur un exemple, l’animal créateur artistique, sondons les becs et les plumes, observons le Louvre zoologique que l’auteur découvre pour nous. Il existe des « constructions esthétiques », dit Yves Christen, qui cite, entre autres, les toiles d’araignée et les nids de tisserin.
Si on ne peut nier la beauté de ces réalités, il faut aussi reconnaître qu’elles relèvent de l’instinct, c’est-à-dire qu’elles n’offrent aucune possibilité de variabilité, elles sont d’emblée parfaites, là où l’artiste s’escrime dans l’à peu-près, la retouche et la déception. De la même façon, les merveilleuses modulations de l’étourneau, qui enchantaient Mozart, s’élèvent sur les ailes de l’instinct. Il n’y a pas d’art « sans projet d’art », disait Erwan Panofsky. De ce point de vue, la pire casserole souhaitant chanter est supérieure au volatile le plus mélodieux.
Mais dans d’autres domaines, Christen a bien du talent, il sait nous convaincre que les bonobos ont un langage quand tout dépend de la définition de cette notion, et même que les rats sont moraux. Mais ces conclusions, qui relèvent souvent d’expérimentations en laboratoire, peuvent sembler parfois bien artificielles.
Venons-en à ce qui est anxieusement annoncé dans le titre. Tout porte à considérer les animaux comme n’étant que d’anonymes représentants d’un genre. Dans « le Rire », Bergson écrit : « Nous faisons une différence entre la chèvre et le mouton ; mais distinguons-nous une chèvre d’une chèvre, un mouton d’un mouton ? » Dans des pages fort émouvantes, Yves Christen explique que traiter l’animal comme une personne ne signifie pas en faire une personne humaine. C’est simplement, au travers d’un refus par exemple de la chasse, de la corrida ou d’inutiles expérimentations, dire qu’il mérite égards et respect. Comme le visage de l’autre chez Lévinas. Comme aussi nous y invite le regard du grand singe en cage.
› ANDRÉ MASSE-STAMBERGER
Yves Christen, « L’animal est-il une personne ? », Flammarion, 520 pages, 24 euros.
Signalons, entre autres ouvrages, « Les Énigmes du cerveau » (Bordas, 1989) et surtout, par rapport à notre sujet, « le Peuple léopard - tugwaan et les siens » (Michalon, 2000).
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