Au troisième trimestre de cette année, la croissance, aux Etats-Unis, a été de 7,2 % en moyenne annuelle. Un tel rebond de l'économie américaine ne s'est pas produit depuis 1984, soit il y a dix-neuf ans. En outre, cette progression est soutenue par une hausse considérable de la consommation, des investissements et des exportations. Une trilogie idéale.
Les marchés financiers ont accueilli la prodigieuse nouvelle avec calme, bien qu'ils n'eussent anticipé qu'une croissance de 6 %. A posteriori, d'aucuns ont affirmé qu'ils s'attendaient à 7 %. On n'est pas obligé de les croire. Bien entendu, aussi vigoureuse qu'elle soit, la croissance américaine peut encore faiblir, ne fût-ce que parce que le taux du dernier trimestre sera fatalement inférieur. Mais enfin, on peut compter sur 3,5 % de croissance aux Etats-Unis en 2003 et peut-être 4 % en 2004. A comparer avec 0,5 en France cette année et guère plus de 1,7 l'an prochain. Il est vrai que la dépréciation du dollar n'aide guère l'Europe. Mais on ne peut pas à la fois dénoncer le double déficit américain (budget et commerce extérieur) et exiger un dollar fort. La parité de la monnaie américaine reflète une réalité économique et financière ; l'euro n'est « fort » qu'en apparence.
Une politique fiscale audacieuse
La plupart des commentaires convergent sur une idée centrale : la croissance américaine ne profitera que faiblement à l'Europe et le taux du troisième trimestre n'a fait qu'éroder à peine la vigueur de l'euro (qui se situe autour de 1,16 dollar). Il est logique que le consommateur américain, qui se tourne toujours vers le produit le moins cher à qualité égale, achète des produits de son pays et en importe moins de l'étranger.
Il demeure que la croissance, aux Etats-Unis, ne résulte pas du cycle historique boom and bust (hausse du PIB suivie par une baisse ou une stagnation). Le cycle, en l'occurrence, a été largement accompagné par une politique fiscale et monétaire extrêmement audacieuse de l'administration. En leur envoyant des chèques à domicile au titre de la baisse des impôts pour qu'ils consomment davantage, le président Bush a choisi la relance de l'économie au détriment des grands équilibres. Allégement de la pression fiscale, taux d'escompte abaissé au niveau incroyable de 1 %, déficit budgétaire supérieur à 4 % (mais pas très éloigné du nôtre ou de celui de l'Allemagne), Bush a encouragé la dépense en ouvrant les vannes de la masse monétaire. Dans ce taux fabuleux de 7,2 %, il y a d'une part le rebond normal après trois ans de ralentissement économique, et, d'autre part, le stimulus énorme apporté par l'administration.
Tout cela est intéressant parce que nous avons tous critiqué en France la baisse des impôts sur le revenu décidée par Jacques Chirac. Nous avons presque tous pensé qu'il pouvait faire un effort dans le sens des critères européens. Mais d'abord, il n'est pas le seul à utiliser l'arme fiscale pour requinquer l'économie ; l'Allemagne en fait autant. Ensuite, pourquoi ce qui semble réussir aux Etats-Unis ne fonctionnerait-il pas en France ?
Réunis la semaine dernière à Poitiers, le chancelier Schröder et Jean-Pierre Raffarin ont rappelé que le Pacte de stabilité européen est aussi un pacte de « croissance ». Or les commissaires de Bruxelles n'ont pas désarmé. Ils continuent à exiger de la France qu'elle diminue ses dépenses pour compenser ses réductions d'impôts. Ils s'apppuient sur la théorie la plus sage, celle de Raymond Barre, qui a toujours tenu le même discours : pas de réduction des recettes de l'Etat sans réduction égale de ses dépenses.
Peut-être qu'une situation particulièrement critique réclame un remède de cheval. C'est ce que Bush a pensé, moins pour faire plaisir à ses concitoyens que pour augmenter ses chances d'obtenir un second mandat. C'est aussi ce que pense Jacques Chirac, qui espère, sans en avoir la certitude, que sa relance de la consommation, alliée au retour cyclique de la croissance, se traduira pas une réduction du déficit budgétaire. C'est ce qu'on appelle la « théorie de l'offre ». Il triompherait alors de la Commission de Bruxelles.
Pourtant, les projections demeurent moroses : pas plus de 1,7 % en 2004, ce qui serait tout à fait insuffisant pour réaliser le tour de force budgétaire mentionné ci-dessus ; insuffisant aussi pour résorber une partie du chômage, qui a encore augmenté de 1 % en septembre et n'est plus très loin des 10 % et de deux millions et demi de demandeurs d'emploi.
Quand le bâtiment va
Comme le soulignait Alain Lambert, ministre du Budget, il y a quelques mois, on s'est trompé par optimisme pour 2002 et 2003 ; on peut se tromper par pessimisme pour 2004. C'est exactement ce qui est arrivé à Bush. Il a été récompensé au-delà de tous ses espoirs de ses mesures fiscales et monétaires ; et il bénéficie en outre du concours de la Banque fédérale des réserves, qui, bien qu'elle soit indépendante, joue le jeu de l'administration en maintenant les taux d'intérêt de base à un niveau suffisamment bas pour que le boom de l'immobilier se poursuive. Or, quand le bâtiment va...
En tout cas, Bush a fait la démonstration qu'il a donné le bon exemple. L'opposition à sa politique économique est faible ; elle porte moins sur ses décisions macroéconomiques que sur son avarice à l'égard des pauvres et des retraités. Il en va tout autrement en France : la gauche n'entend pas du tout avaliser des baisses d'impôts qui « ne favorisent que les riches » et sont assorties par ailleurs de microdécisions comme la taxe sur le gazole, qui agacent prodigieusement le consommateur.
La mise en uvre d'une politique économique libérale est extrêmement difficile en France, pas seulement parce que les Français restent attachés à leur système de redistribution, mais parce que ce système a créé des réalités qui déterminent le fonctionnement de l'économie, par exemple l'assurance-maladie. A Washington, M. Bush n'a pas à se préoccuper du déficit d'un budget qui n'existe pas, ou à peine, sous la forme de deux programmes relativement modestes, Medicare et Medicaid. En revanche, il n'a pas hésité à puiser dans les réserves considérables de la Social Security (le système de retraites pour tous) pour financer une partie de ses déficits. Rien n'est plus vrai que l'expression « le temps, c'est de l'argent ». En France, on rembourse la dette sociale en taxant les revenus jusqu'en 2014 (et encore plus tard si c'est nécessaire) ; on compte sur l'avenir pour payer le passé. Aux Etats-Unis, on fait le même calcul : le déficit de 2003 peut se transformer en excédent si la progression de l'économie accroît les recettes de l'Etat.
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