REBOUTEUX, une activité disparue ? A lire les pages jaunes de l'annuaire, non. Si le « frottou » (celui qui frotte par magnétisme ou en apposant directement ses mains) ou le « passeur de vers » officiait il y a quelques dizaines d'années uniquement grâce au bouche-à-oreille, ils s'affichent désormais dans le Bottin. « Mais, attention, les gens ont toujours leur carnet d'adresses, précise le Dr Dominique Barbe, généraliste depuis dix-sept ans à Peillac, à l'extrême-est du Morbihan. Ils savent qu'untel va être bon pour les vers, un autre plutôt pour les brûlures. Il suffit d'aller à la boulangerie, à la sortie de l'école. Vous entendrez les mamans en parler entre elles. Le gamin a une poussée à 40. Elles vous décrivent les symptômes et elles concluent sans aucun doute que ce sont les vers ! La plupart des gens d'ici ne se posent aucune question métaphysique au sujet des rebouteux. Quand ils sont démis, qu'ils ont mal à la suite d'un faux mouvement, la plupart du temps, ils y vont. Ils ne cherchent pas de diagnostic précis, à mettre un mot sur un constat. La seule chose qui les intéresse, c'est le résultat ! »
De génération en génération.
Le Dr Guénaelle Tanguy, généraliste depuis cinq ans à Péaule, toujours dans le Morbihan, est du même avis. « Il y a une transmission de génération en génération. Il existe encore une forte croyance par rapport au rebouteux. Que ce soit chez les plus âgés, qui vont y aller plutôt pour tout ce qui est traumatologie, ou pour les plus jeunes, qui vont le voir surtout pour les vers. Même ceux qui ont fait des études. Pour les zonas et les vers, j'ai l'impression qu'ils y passent tous. Alors, c'est assez fréquent qu'ils m'en parlent, juste pour m'en informer ou pour dire que leur problème est passé tout seul. S'ils y vont, c'est généralement parce que rien ne marche, qu'on est en échec thérapeutique. J'ai eu une dame qui a un zona. Elle a été voir le rebouteux parce qu'on avait tenté beaucoup de choses. Mais ça n'a pas marché non plus. En tout cas, moi, ça ne me pose pas de problème. Si cela peut faire aussi du bien, sans effet secondaire... Je ne m'érige pas en juge. En médecine, on doit rester très modeste, car notre influence reste modeste. »
Le Dr Dominique Barbe, qui compte lui aussi un rebouteux dans sa commune, refuse également d' « entrer dans un conflit avec cette pratique, car ce serait stérile. L'approche qu'ont les gens de cette activité est tellement partiale qu'on ne peut pas avoir de discussion objective sur le sujet. Et puis, je pars du principe que les gens font ce qu'ils veulent. Ne pas condamner, c'est aussi pouvoir dialoguer avec eux. Je ne les pousse donc pas y aller, mais je ne leur dis pas non plus de ne pas aller le voir. Et puis, je ne mets pas d'opposition formelle car il semblerait bien que, sur les brûlures et les zonas, il y aurait une action. Sur la traumatologie, c'est différent. Comme je pratique l'ostéopathie, je les vois souvent après qu'ils y sont allés et parce que ça n'a pas marché. »
« Il faut reconnaître aussi, ajoute le médecin, qu'ils écoutent les gens qui viennent les voir, qu'ils apportent un autre regard sur leur problème et, point important, les gens y croient. Et puis, la population qui se rend chez le rebouteux ne perçoit pas nos activités comme concurrentielles. »
Des gens dangereux.
Du côté du Dr Pierre Busquet, généraliste à Saint-Martin-sur-Oust, le jugement est tout autre. « Ces gens sont nullissimes et dangereux ! Une patiente atteinte de périarthrite est allée voir le rebouteux en pleine période de décalcification. J'ai dû l'infiltrer après. Dernièrement, une autre patiente chez qui je suspectais un tassement de vertèbre n'a pas voulu aller faire de radio. En revanche, elle a pris le temps de rendre visite au rebouteux. Résultat : elle m'a téléphoné en pleurant tellement elle souffrait. J'ai piqué une grosse colère. On a enfin mis en place un corset et le traitement habituel. Quand les gens souffrent, il y a un tel désarroi que l'opinion de la voisine compte autant que celle du médecin ! »
Le Dr Busquet n'hésite pas à envoyer ses patients voir un médecin rééducateur ou un kinésithérapeute quand la situation le demande. « Mais ce ne sont pas des gens qui font n'importe quoi, pas des branquignols ! Je ne suis pas un ayatollah de la médecine, mais à l'expérience je peux dire que les rebouteux ne sont pas des sauveurs, plutôt des arnaqueurs. »
Pour le Dr Dominique Barbe, un autre problème est plus préoccupant. C'est celui des exorcistes. « Beaucoup plus de patients qu'on ne le pense ont des contacts avec ce genre de personnes. Les gens n'en parlent presque pas, mais certains nous disent tout de même qu'ils ont été envoûtés. Et ça peut aller assez loin. Mais ça reste très tabou. Au moins, les rebouteux, ils font leur soupe de leur côté. Si les gens sont démis, ce n'est pas un problème métaphysique ! »
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