L’éducation thérapeutique des malades chroniques, ça marche, mais en France la démarche est encore bien embryonnaire. Dans le rapport qu’il a remis jeudi à la ministre de la Santé, le député UMP de la Moselle, Denis Jacquat (photo) appelle de ses voeux une politique volontariste de développement de ce coaching santé dont il souligne les enjeux sanitaires (la moitié des patients souffrant de diabètes ne prendraient pas régulièrement leur traitement...), mais aussi financier (une étude a montré en 2009 que l’éducation thérapeutique du patient (ETP) obèse entrainait une baisse de près de 16% de ses coûts médicaux).
Dans ces conditions, pourquoi le managed care à la Française a–t-il tant de mal à émerger, sinon via quelques expérimentations, quelques programmes le plus souvent hospitaliers et deux initiatives phares qui impliquent la Cnamts (Sophia avec les diabétiques) et la MSA (personnes âgées insuffisantes cardiques) ? Pour le Dr Denis Jacquat, la raison de ce positionnement timide de l’Hexagone est multifactorielle. A commencer par le nerf de la guerre : le financement. A l’hôpital, ce ne sont pourtant pas les crédits qui manquent : autour de 70 millions. Mais allez savoir à quoi ils servent ! Ces ressources, distribuées via le poste Mission d’intérêt général (MIG) ne font pas l’objet d’évaluation, relève, sibyllin, le rapporteur : «aucune remontée d’information n’a été demandée par l’administration centrale du ministère de la santé. Il est ainsi difficile de savoir si les montants attribués ont été réellement utilisés pour cette activité,» Entre les lignes, on comprend que pour nombre d’établissements hospitaliers ces sommes non tracées sont une aubaine permettant d’améliorer l’ordinaire...
L’argent est moins présent en ville pour financer l’ETP : autour de 3 millions d’euros. Mais le paradoxe est qu’il n’est pas entièrement utilisé : « selon la cnamts, la totalité des sommes provisionnées n’a pas été dépensée en 2009, » note en effet le Dr Jacquat. A le lire, on comprend vite que cette sous-utilisation des crédits d’ETP en ville est symptomatique du retard Français. Pourquoi les libéraux ne s’engagent-ils pas davantage ? Parce que les crédits leur sont la plupart du temps accordés pour une année et que le montage d’un dossier s’apparente encore trop souvent à un parcours du combattant... Denis Jacquat juge handicapante cette logique expérimentale reposant sur des financements non pérennes. Et il explique la situation actuelle par une troisième caractéristique : le manque d’information et de formation à l’ETP des professionnels de santé, seules les infirmières faisant exception, puisqu’elles ont reçu des enseignements ad hoc au cours de leurs études.
19 propositions pour un managed care à la Française
Freins culturels, circuits de financements et de décision à revoir... S’ensuivent 19 propositions pour relancer la dynamique de l’ETP. A commencer par la formation. Via la fac ou via la FMC, la sensibilisation des blouses blanches à l’éducation thérapeutique doit être généralisée, réclame le parlementaire Lorrain, qui juge par ailleurs urgent de réorienter les crédits vers l’ambulatoire pour rompre avec un système d’éducation thérapeutique à ses yeux trop hospitalo-centré .
Le cadre à privilégier pour l’éducation du patient serait, selon lui, le modèle de la maison et du pôle de santé. Et le financement idéal un forfait, comme c’est le cas dans les expérimentations de modes de rémunération alternatifs en cours actuellement : en lieu et place du paiement à l’acte, un forfait ETP est alloué par patient, de 250 à 300 euros selon le nombre d’ateliers proposé au malade. « Il est encore trop tôt pour évaluer ces expérimentations. Cependant en Franche-Comté, une des régions pilotes, l’expérience est jugée très prometteuse,» assure Denis Jacquat. Le député propose aussi que la logique du forfait prévale de la même façon pour financer les programmes hospitaliers. Et il demande la création d’une équipe transersale dans chaque hôpital pour promouvoir l’ETP.
50 à 375 millions à investir pour les patients chroniques
C’est peut-être à ces conditions que le médecin traitant reprendra la main dans l’éducation thérapeutique et avec une coordination ville-hôpital renforcée : deux des souhaits exprimés avec force par le rapport Jacquat. Pour l’heure, le député prévient qu’il va falloir mettre les moyens si l’on veut que l’ETP décolle. Selon les scénarios, on aboutit aux prévisions suivantes. Hypothèse basse : 50 millions d’euros par an, en incluant seulement les nouveaux patients chroniques, soit 200 000 patients par an, diabétiques pour les trois quarts. Hypothèse moyenne : 75 millions si l’on proposait un programme à 10% des 15 millions de malades chroniques. Enfin, hypothèse haute : 375 millions en incluant d’emblée la moitié des patients chroniques.
Denis Jacquat veut en finir avec l’utilisation des fonds de prévention pour financer l’éducation thérapeutique. Persuadé que la démarche est rentable à terme pour l’Assurance maladie, il plaide, logique, pour que le financement de cette dernière incombe pour l’essentiel à la Sécu, au titre du risque maladie. Et de ce point de vue, il suggère que les ARS jouent le rôle d’un guichet unique dans leur région avec droit de tirage sur tous ces crédits, sans qu’il soit besoin aux directeurs des agences de quémander auprès des caisses.
Roselyne Bachelot et le gouvernement reprendront-ils à leur compte ces propositions ambitieuses, après avoir introduit l’éducation thérapeutique dans la loi «HPST» ? Réponse en partie à la rentrée prochaine, puisque des textes d’application qui visent à promouvoir cette dynamique au niveau des ARS sont parus au tout début du mois d’août. Le décret en conseil d’Etat prévoit les conditions d’autorisation des programmes d’éducation par les agences régionales de santé, que ces programmes soient menés dans les établissements de santé ou en médecine de ville. Pour être autorisés, ils doivent être conformes au cahier des charges national, et en pratique être mis en œuvre par une équipe pluridisciplinaire qui comprendra au moins un médecin. Les associations de malades agréées par le ministère de la santé peuvent également y intervenir. Les promoteurs de programmes d'éducation thérapeutique du patient dores et déjà mis en œuvre avant la la réforme Bachelot ont jusqu'au 1er janvier 2011 pour obtenir leur autorisation des agences régionales de santé (ARS) compétentes.
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