Avec les conclusions de la mission confiée à Christian Babusiaux (1), consacrée à « l'accès des assureurs complémentaires aux données de santé des feuilles de soins électroniques », Jean-François Mattei dispose du dernier grand rapport qu'il attendait pour élaborer sa réforme de l'assurance-maladie. La réforme est toujours attendue pour l'automne même si, sur fond de crise sociale, certains doutent désormais du calendrier annoncé.
Bien qu'il soit technique par définition, le rapport Babusiaux n'en a pas moins une haute signification politique et couvre des enjeux considérables. Il s'agit d'étudier la faisabilité, notamment juridique, de l'accès des organismes complémentaires (mutuelles, assurances, institutions de prévoyance) aux données détaillées de santé, que les régimes obligatoires sont seuls à recevoir. Grâce à ces informations, qu'ils demandent depuis des années, les assureurs complémentaires ne cachent pas qu'ils veulent proposer des catégories de contrats « plus diverses et mieux adaptées ». En clair, ils souhaitent gérer plus efficacement le risque maladie, dans l'hypothèse de leur intervention accrue sur le « marché » de la santé.
« Payeurs aveugles », les assureurs complémentaires n'ont actuellement qu'un accès symbolique à l'information, limité aux lettres-clés, majorations éventuelles (nuit, urgence, férié) ou montant global payé par l'assuré par taux de remboursement pour les médicaments. Le dossier est toutefois sensible car il touche à la protection des libertés individuelles et au respect du secret médical. Il l'est d'autant plus que les informations médicales susceptibles d'être télétransmises demain seront beaucoup plus précises qu'aujourd'hui, grâce au nouveau codage des actes. « Ces informations vont davantage renseigner les destinataires potentiels sur l'état des personnes qu'elles n'auraient pu le faire jusque-là », souligne d'emblée le rapport.
Tiers de confiance
Estimant que la télétransmission des données « ne peut être effectuée que par le professionnel de santé », et non pas par le patient lui-même, le rapport écarte l'hypothèse d'une télétransmission automatique semblable à ce qui existe pour les régimes obligatoires, et qui risquerait d'être déclarée inconstitutionnelle.
La mission plaide pour une transmission où les données de santé seraient anonymisées, solution « la plus simple, la plus protectrice des droits, la plus rapide à mettre en place et la moins entachée d'incertitudes ».
Le schéma serait le suivant : quand un assuré consulte un professionnel de santé, la demande de remboursement électronique (DRE) transiterait par « un tiers de confiance » chargé d'anonymiser les informations, ou par une boîte noire sécurisée. Après le calcul des droits, seul le résultat de la liquidation serait à nouveau rendu nominatif et envoyé au professionnel de santé (en cas de tiers-payant) ou à l'assureur. Aucune modification législative ne serait nécessaire.
Autre piste possible : la télétransmission des données médicales « sous forme nominative », toujours par le professionnel, mais sous réserve du consentement exprès de l'assuré. Cet accord serait exprimé par le patient au cas par cas, par exemple par le biais d'une carte spécifique. Ce système exige toutefois un texte législatif définissant les garanties.
Compte tenu de la diversité des professions et des actes, le rapport, pragmatique, propose que le « choix soit laissé » entre la solution avec anonymisation et celle avec un consentement explicite du patient entouré de garanties. Outre cette liberté, la mission recommande de lancer des expérimentations dès le début de 2004 à l'échelle d'une profession « comme les pharmaciens ou les radiologues, ou encore d'une région ». Dans le cas du paiement en tiers-payant, seulement les cas simples seraient couverts au départ. En effet, ni la version 1.31 actuelle de SESAM-Vitale, ni la prochaine version 1.40 (2004) ne permettent la consultation en ligne de fichiers de santé, condition nécessaire pour traiter les clauses particulières de contrats complexes (remboursement de produits non pris en charge par la Sécu, historique des consommations antérieures, etc...).
Le rapport, qui a reçu un accueil plutôt favorable, y compris par le Centre national des professions de santé (CNPS), reste prudent : il n'y aura pas de basculement total à courte échéance vers une télétransmission généralisée des données de santé aux complémentaires. Mais désormais « la base existe pour que puissent s'engager la phase des décisions concrètes ». A Jean-François Mattei de donner l'impulsion politique.
(1) Conseiller maître à la Cour des comptes
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