Le racisme de ceux qui en souffrent

Publié le 01/11/2001
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A Marseille, une école juive a été partiellement détruite par un incendie et les auteurs de l'attentat ont planté des clous dans la cour de récréation, avec l'espoir, sans doute, que des élèves se blesseraient.

Les autorités de l'école et de la communauté juive, tout en déplorant le méfait, ont refusé de l'assimiler à un acte de terrorisme ; les dirigeants politiques de la ville ont qualifié d'intolérables et d'inacceptables l'incendie et les graffiti antisémites qui l'accompagnaient, y compris le désormais courant « Vive Ben Laden ! ». Selon « le Figaro », d'autres actes antisémites se sont produits à Marseille, mais aussi bien les responsables municipaux que les dirigeants de la communauté juive demeurent discrets à ce sujet, afin que la ville ne soit pas déstabilisée par des manifestations et des contre-manifestations communautaires.
Effectivement, par rapport aux très nombreux incidents antisémites qui ont suivi le début de l'intifada en septembre 2000, cet attentat isolé n'est pas significatif. Tant qu'il n'y en aura pas d'autres.
On note néanmoins l'extrême frilosité de ceux qui représentent les victimes et de ceux qui sont censés protéger toutes les communautés, quelles qu'elles soient, contre des agressions.

La contamination du « benladenisme »

La contamination de quelques dizaines d'Américains par le bacille du charbon n'est rien si on la compare à l'épidémie de ce que nous appellerons le « benladenisme ». C'est une maladie dont tout le monde caractérise l'agent infectieux comme très pernicieux, mais qui est pratiquement acceptée avec fatalisme. On se bat, certes, contre le risque de contamination, mais on en « comprend » le mécanisme. Autrement dit, on admet, sans le dire, que l'ennemi international numéro un est devenu, aux yeux de certains, un modèle, une figure charismatique au nom de laquelle on peut se livrer à des exactions, non pas dans des contrées éloignées, mais en France.
Non seulement l'énoncé des épithètes n'est pas efficace contre les malandrins qui se livrent à de tels actes ; non seulement les dirigeants de la communauté juive, citoyens français soumis aux devoirs que leur impose la République et bénéficiaires des droits qu'elle leur accorde, doivent réclamer sans complexe aux pouvoirs publics des mesures de sécurité et de protection, mais il ne nous paraîtrait pas hors de propos que des dirigeants de la communauté musulmane, et pas, cette fois, l'habituelle trilogie rabbin-prêtre-imam qui nous servent leur discours monothéiste habituel, lequel, en dépit de son œcuménisme de façade, ne diminue en rien le nombre des actes de violence, dénoncent eux-mêmes l'antisémitisme, comme toute autre forme de racisme.
On nous répondra, comme on l'a fait des centaines de fois, que la guerre israélo-palestinienne ne favorise pas une telle prise de position. Mais si les plus éclairés d'entre les musulmans, assurés de surcroît de la protection d'un système démocratique et laïque, n'ont pas ce courage élémentaire, comment s'étonner ensuite de ce que les gosses des banlieues s'en prennent aux juifs ? Personne en France, ni les juifs ni les musulmans ni le gouvernement, n'a le pouvoir de résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais tout le monde en France, y compris les musulmans, peut rappeler que ce conflit n'a rien à voir avec la société française, ses besoins et ses espoirs.

La loi du silence

A plusieurs reprises, et notamment au début de l'intifada, le gouvernement a été amené à souligner quelques notions universelles, comme la laïcité de nos institutions, le rejet du racisme sous toutes ses formes et un système social qui récuse l'intolérance. Beaucoup de voix se sont élevées contre le « communautarisme » auquel nous sommes une majorité à préférer l'intégration.
On nous permettra toutefois d'attirer, une fois de plus, l'attention sur les victimes. Vers la fin de 2000, à la suite d'environ quatre-vingts attaques contre des synagogues, des centres communautaires ou des boucherie kasher, le gouvernement a appelé les « deux communautés » à la retenue. Il y a eu certes une manifestation juive contre ces agressions. Mais aucune mosquée, aucune boucherie halal, aucun sujet musulman de la République n'a été agressé. L'appel du gouvernement concernait donc une communauté de trop.
Par conséquent, le traitement de la question par la loi du silence, à cause d'un conflit qui se déroule à 3 000 km de la France, n'est pas judicieux.
On pouvait lire, dans « le Monde » daté de mardi un article fort bien documenté sur l'antisémitisme débridé, sans complexe, dévastateur, qui règne dans les pays arabes. L'auteur s'est efforcé de démontrer, avec informations à l'appui, que les régimes arabes - dont il rappelle lui-même qu'aucun n'est démocratique - se protègent contre le mécontentement des masses livrées à la misère en désignant le bouc émissaire historique ; et encouragent leur presse à alimenter des rumeurs que l'opinion arabe gobe avec d'autant plus d'avidité qu'elles sont invraisemblables. La rumeur la plus répandue dans le monde arabo-musulman (et qui n'a pas hélas épargné nos rivages, au moins chez un certain nombre de Maghrébins ou de Français d'origine maghrébine) est que les attentats contre les Twin Towers ont été organisés par le Mossad, que Ben Laden est innocent et que les juifs qui travaillaient dans les tours n'y sont pas allés le 11 septembre parce qu'ils étaient prévenus. Or beaucoup de juifs sont morts dans l'écroulement du World Trade Center et si on n'en connaît pas le nombre, c'est parce que, dans une démocratie qui se respecte, on ne sait pas distinguer un juif d'un non-juif et que l'on peut seulement répertorier des nationaux et des étrangers. Mais il y avait des Israéliens dans les tours. Et un nombre considérable de musulmans appartenant à d'innombrables nationalités.
L'article du « Monde » n'exonère pas Israël de la répression des Palestiniens. Et il va même jusqu'à accepter une idée partagée par nombre de gouvernements et par l'opinion internationale, à savoir que la résolution du conflit entre Israël et les Palestiniens couperait l'herbe sous le pied du terrorisme. Autant il faut souhaiter une solution négociée et la création d'un Etat palestinien, autant il faut dénoncer une relation de cause à effet dont Yasser Arafat lui-même ne veut pas. Si successivement George W. Bush, Tony Blair et les dirigeants européens ont mentionné l'Etat palestinien, ce n'est pas, heureusement, pour satisfaire une revendication de Ben Laden, mais pour sauvegarder une coalition internationale à laquelle adhèrent à contre-coeur un certain nombre de pays arabes. Ce que craignent le plus les mouvements extrémistes, Hamas, Djihad, Hezbollah et la Qaïda de Ben Laden, c'est un accord de paix. Ils ne réclament pas la Cisjordanie et Gaza mais la disparition d'Israël. Dans le monde arabe, il est courant de dire qu'Israël est la cause des attentats du 11 septembre. Les citoyens américains ont entendu cette explication, ils n'y croient guère, et malgré les frictions américano-israéliennes provoquées par la la politique d'Ariel Sharon, l'alliance entre les deux pays n'est pas vraiment ébranlée, alors que la simple paresse intellectuelle aurait pu conduire les Américains à cette bonne vieille lâcheté populaire qui consiste à sacrifier un ami embarrassant pour avoir la paix.

Le rôle des intellectuels

Les intellectuels musulmans et les imams de France, qui ne se sont pas tous élevés contre Ben Laden avec la vigueur requise, ont un rôle à jouer. Au lieu d'accepter le néo-antisémitisme beur ou maghrébin, ils doivent le dénoncer ; au lieu de laisser des adolescents ou des musulmans moins jeunes adhérer aux idées et à l'action de Ben Laden, ils doivent les mettre en garde ; au lieu d'ignorer la violence des fanatiques, ils doivent la combattre, rejoindre publiquement le mouvement en faveur de la paix, du partage, de l'arrêt des violences de part et d'autre. Et ils doivent le faire au nom du racisme dont ils souffrent parfois eux-mêmes et dont ils ne guériront jamais les racistes s'ils tolèrent l'antisémitisme dans leurs propres rangs.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7001