UNE FEMME de 72 ans, jusque-là en bonne santé, est amenée aux urgences dans un coma profond. Un accident vasculaire cérébral avec hémiplégie droite est suspecté. Il est décidé de pratiquer un scanner. La patiente doit d'abord être intubée et ventilée. Les images mettent en évidence une hémorragie intracérébrale du côté gauche. L'évacuation chirurgicale est délicate en raison de la localisation de l'hématome. Cependant, sans intervention, le décès risque de survenir rapidement. Doit-on ou non opérer cette patiente ?
Le cas clinique a fait l'objet d'une large consultation en Suède. Pas moins de 985 personnes tirées au sort dans la population générale et 410 praticiens, neurochirurgiens et réanimateurs, ont été invités à donner leur avis à l'automne 2004. Ni télé-réalité ni sondage d'opinion, l'opération a été réalisée dans le cadre d'une étude qui cherchait à évaluer si un consensus existait entre médecins et patients sur l'opportunité ou non des soins intensifs. Les résultats sont publiés dans la revue en ligne « Critical Care » (14 janvier).
Opérer ou pas
«Les professionnels de santé espèrent ou supposent que leurs préoccupations éthiques et leur raisonnement sont partagés par l'opinion et font l'objet d'un large consensus. Pourtant, différentes études suggèrent que ce n'est pas toujours le cas», expliquent Anders Rydall et coll., les auteurs.
Un questionnaire a été adressé par voie postale à tous les participants. Après une description du cas, en termes clairs et simples, une liste d'arguments en faveur et contre la chirurgie leur était proposée, avec, chaque fois, un choix de quatre réponses possibles : «Entièrement d'accord», «Plutôt d'accord», «Plutôt pas d'accord», «Complètement pas d'accord».
Le taux de réponses a été plus élevé parmi les médecins (70 %) que parmi le public (51 %). A ce stade de la décision – intervenir ou non –, les médecins se sont montrés beaucoup plus réticents que le public : 82,3 % d'entre eux se sont déclarés contre l'intervention alors que 59,8 % du public y était favorable. Le mauvais pronostic, le caractère héroïque d'une telle intervention qui, de toute façon, n'améliorerait pas la qualité de vie de la patiente, expliquent le refus des médecins. Quant au public, le premier argument mis en avant était que «le premier devoir d'un professionnel de santé est de sauver la vie».
En revanche, l'argument de l'âge ou celui du coût de l'intervention en regard des bénéfices attendus n'a eu de succès ni parmi les médecins ni parmi le public. Peu d'entre eux ont tenu compte de la volonté du fils de sauver à tout prix la mère (argument donné en faveur de l'intervention) et peu ont considéré que l'abstention thérapeutique serait une forme d'euthanasie.
Arrêt de la ventilation
L'étude ne s'est pas arrêtée là puisque les auteurs ont poursuivi l'exploration par une description de la phase postchirurgicale en unité de soins intensifs. Au bout d'une semaine, aucune amélioration n'est observée et il est clair que la patiente ne survivra pas. Doit-on poursuivre la ventilation ?
A ce stade, les divergences entre les médecins et l'opinion apparaissent moins importantes. Plus de 94 % des médecins et 77,7 % des personnes interrogées ont choisi l'arrêt de la ventilation. Toutefois, le poids relatif des arguments variait entre les deux groupes, même si l'item selon lequel le traitement ne faisait que retarder la mort, a été le plus choisi. Les non-médecins ont accordé plus d'importance au souhait supposé du patient d'arrêter tout traitement dans une telle situation.
Traitement morphinique
La décision de l'arrêt de la ventilation est prise. La famille en est informée. Au bout de 12 heures sans assistance, la patiente commence à convulser et présente des troubles respiratoires. L'indication d'un traitement morphinique et sédatif est discutée. Le risque est d'aggraver la détresse respiratoire et de précipiter la mort. Doit-on traiter ? Médecins et non-médecins sont presque unanimes (respectivement 95,1 et 82 %) : l'important est que la patiente soit calme et ne souffre pas. Cependant, ils ont été plus nombreux chez les non-médecins à considérer que les traitements devaient être donnés à condition de ne pas accélérer le processus morbide. Un quart des participants ont considéré que cela relèverait plus d'une euthanasie que d'un effet secondaire du traitement. La notion d'effets indésirables des médicaments semble encore peu répandue dans le public, suggèrent les auteurs.
Une des conclusions de l'étude, est, selon Anders Rydvall, d'avoir montré que «les attentes du public quant à ce que le système de santé est capable de faire sont très élevées». Il est important pour les médecins de mesurer les différences d'appréciation entre le public et eux, surtout dans ce type de situation difficile, «ils seraient plus à même d'éviter les problèmes de communication et les controverses qu'elles peuvent susciter», conclut le chercheur.
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