Eprouvant
La survenue d'une dermatose prurigineuse pendant la grossesse constitue une situation particulièrement éprouvante pour la future mère. A la crainte d'une répercussion fœtale de la maladie et d'une éventuelle tératogénicité des traitements qu'elle requiert s'ajouteNT les effets délétères propres au prurit lui-même. Ainsi, c'est souvent une femme minée d'inquiétude quant à l'issue de sa grossesse, exaspérée par plusieurs nuits d'insomnie et horripilée par d'impérieuses démangeaisons, que l'on est amené à voir, en urgence, à la fois pour poser un diagnostic et pour engager au moins un traitement symptomatique.
Cette situation, décrite ici de façon certes un peu caricaturale, n'est pas si rare ; 2 % des gestantes consultent en dermatologie pour un prurit.
Courante
Dans la plupart des cas, l'interprétation de ce symptôme plurivoque est aisée car il peut être immédiatement rattaché à une dermatose courante, habituellement prurigineuse. Une dermatite atopique par exemple, dont on sait qu'elle peut s'exacerber pendant la grossesse, une varicelle dont on connaît la gravité potentielle, une urticaire « banale », des lésions d'aoûtats ou encore une gale sarcoptique, toutes situations survenues « fortuitement » au cours de la grossesse.
Spécifique
Cependant, il n'est pas toujours aussi simple de poser un diagnostic. Il faut alors évoquer la possibilité d'une dermatose dite « spécifique », c'est-à-dire ne survenant que pendant la grossesse. Ces dermatoses, pour certaines fort rares, méritent néanmoins d'être connues ne serait-ce que pour leur retentissement materno-fœtal potentiel.
On en retiendra essentiellement trois : l'éruption polymorphe gravidique, la cholestase intra-hépatique gravidique et l' Herpes gestationis.
Eruption polymorphe gravidique
C'est de loin la plus fréquente (de 1/130 à 1/300 grossesses). D'un point de vue nosologique, ce terme simple en regroupe en fait plusieurs autres : le prurigo tardif de Nurse, le prurigo gestationis de Besnier, le rash toxique gravidique, le « Puppp » (Pruritic Urticarial Papules and Plaques of Pregnancy), autant d'affections d'entité discutable et qu'une nomenclature obsolète distinguait naguère sur des critères cliniques flous.
L'éruption polymorphe gravidique survient en général au troisième trimestre de la grossesse, chez des nullipares, plus fréquemment en cas de gémellité. L'éruption, comme son nom l'indique, est polymorphe, urticarienne, plus rarement vésiculeuse, voire purpurique, toujours très prurigineuse. La localisation préférentielle aux vergetures abdominales, avec respect de la région péri-ombilicale est très évocatrice (deux tiers des cas), même si les lésions s'étendent souvent au-delà, au tronc, aux extrémités, respectant cependant le visage et les zones palmo-plantaires.
Le diagnostic en est clinique, le pronostic materno-fœtal excellent avec régression spontanée de l'éruption après l'accouchement sans récidive ultérieure. L'étiologie reste encore mal comprise. Le traitement en est symptomatique.
Cholestase intra-hépatique
Le profil de la cholestase intra-hépatique gravidique est loin d'être aussi rassurant. Cette affection, plus rare (de 10 à 150 grossesses sur 10 000 en Europe) se manifeste au troisième trimestre de la grossesse par un prurit sévère sans lésions spécifiques. Ne sont observées que des lésions de grattage, éventuellement sur fond ictérique (20 % des cas).
Au plan biologique, l'élévation du taux sanguin des sels biliaires totaux est corrélée à l'intensité du prurit. Difficile à obtenir en pratique courante, ce dosage constitue cependant le marqueur le plus sensible de la maladie, tandis que le bilan hépatique standard reste de peu d'utilité (élévation des transaminases).
L'évolution naturelle de l'affection se fait vers la régression spontanée après l'accouchement et la récidive aux grossesses ultérieures dans un cas sur deux. Elle requiert une prise en charge spécialisée car elle grève le pronostic fœtal et maternel (risque hémorragique accru par carence en vitamine K, prématurité, détresse fœtale, mortalité périnatale accrue).
Herpes gestationis
Cette dermatose, beaucoup plus rare encore (1/50 000 grossesses aux Etats-Unis), porte un nom bien trompeur. Rien à voir en effet avec les Herpes viridae puisqu'il s'agit d'une maladie bulleuse auto-immune, apparentée à la pemphigoïde bulleuse. L'appellation « pemphigoïde de la grossesse » serait d'ailleurs plus adaptée.
Elle survient habituellement au deuxième ou troisième trimestre de la grossesse, débutant brutalement par un prurit intense, accompagné de papules et de plaques urticariennes puis de vésicules ou de bulles tendues. La topographie initiale est très évocatrice avec atteinte péri-ombilicale puis extension au reste de l'abdomen, au tronc, aux extrémités, voire aux muqueuses.
Le diagnostic clinique n'est pas toujours aisé, surtout au stade initial dit « prébulleux ». C'est la biopsie cutanée avec immunofluorescence directe qui permet de trancher (bulle sous-épidermique avec dépôt de complément C3 le long de la membrane basale).
L'évolution spontanée de la maladie se fait vers l'amélioration en fin de grossesse, à laquelle succède une exacerbation après l'accouchement, suivie d'une lente régression sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La récidive aux grossesses ultérieures est fréquente.
L'existence ou non d'un retentissement fœtal reste débattu ; il semble cependant probable qu'un certain degré d'insuffisance placentaire puisse engendrer un risque accru de prématurité et de petit poids de naissance.
Au total
Au total, à l'issu de ce bref panorama, on conviendra que, pendant la grossesse, le prurit n'est un signe d'appel ni anodin ni simple d'interprétation. Il nous confronte en effet à une situation pour laquelle les dermatoses de loin les plus courantes sont tout à fait bénignes mais deux affections très rares mettent en jeu le pronostic materno-fœtal.
Il n'existe aucun critère clinique fiable pour en faire le distinguo.
Les examens complémentaires diagnostiques sont coûteux et difficiles à obtenir en pratique courante.
En pratique
Alors, que faire en pratique ?
Il n'existe malheureusement aucune réponse consensuelle. La démarche diagnostique peut s'organiser autour de trois grands axes.
Il semble d'abord avantageux d'éliminer une dermatose banale se manifestant comme « fortuitement » pendant la grossesse. Une attention toute particulière sera portée à ne pas méconnaître une dermatose infectieuse (une gale sarcoptique par exemple) qui contre-indique l'emploi des dermo-corticoïdes à visée antiprurigineuse.
On gardera ensuite à l'esprit que l'éruption polymorphe de la grossesse, dont le pronostic est excellent, reste de loin la plus fréquente des dermatoses spécifiques. On l'évoquera sur des arguments cliniques et anamnestiques (nulliparité, début au troisième trimestre, lésions urticariennes plus que vésiculeuses, absence de bulles, respect de la région ombilicale, localisation préférentielle aux vergetures). On pourra alors, sous couvert d'une surveillance attentive, rassurer la patiente et lui prescrire un traitement symptomatique. Ce dernier peut associer selon l'intensité des symptômes des bains et des crèmes émollients, des topiques antiprurigineux, des dermocorticoïdes de classe II en dehors de leur contre-indication et enfin des antihistaminiques (dexchlorphéniramine aux premier et deuxième trimestre, cétirizine au troisième).
La prudence reste néanmoins de mise, car en effet et c'est là le troisième volet de la démarche proposée ici, ne pas méconnaître une cholestase intra-hépatique gravidique ou un herpes gestationis doit être une véritable obsession. Au moindre doute, on engagera sans retard les examens complémentaires adéquats.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature