Les essais concernant les unités neurovasculaires (UNV) [1] et l’aspirine (2) ont inclus des patients jusqu’à la 48e heure. Il est probable, étant donné leur mécanisme d’action – prévention des complications pour l’UNV et des récidives précoces pour l’aspirine – que le bénéfice soit d’autant plus important que le patient ait un accès précoce à l’UNV et une prescription précoce d’aspirine, mais les essais ne permettent pas de démontrer que c'est une question de minutes. L’hémicraniectomie est d’autant plus efficace qu’elle est précoce, mais elle suppose néanmoins que les critères témoignant d’une évolution à venir vers l’infarctus malin soient réunis, ce qui nous place en général entre 6 et 24 heures après le début.
Une régulation préhospitalière cruciale
Le médecin régulateur est donc surtout concerné par la reperfusion qui repose sur des techniques dont l’efficacité est remarquable à proximité du début mais diminue avec le temps, tandis que le risque de complications augmente : dans les 90 minutes il faut traiter 3 patients par thrombolyse IV pour avoir un survivant sans handicap supplémentaire, alors qu’à 3 heures et à 4 h 30 il faudra en traiter respectivement 7 et 14 pour le même résultat (3). Le même facteur temps est observé avec la thrombectomie. Il est d’autant plus limitant que les hôpitaux sièges d’une UNV n’ont pas tous un accès sur place à la thrombectomie, ce qui suppose un délai de transfert (4).
La régulation préhospitalière est donc cruciale pour réduire les délais. Les années 2000 ont vu la thrombolyse IV se généraliser. La régulation a permis aux patients dans les centres hospitaliers dotés ou non d’une UNV d’avoir néanmoins des taux de thrombolyse élevés (6). Elle a aussi permis de réduire les délais intrahospitaliers (7). L’expérience des départements du Nord et du Pas-de-Calais a montré que le développement de 12 UNV sur un territoire de 4 millions d’habitants, coordonnés par 2 SAMU (avec un travail en réseau entre les UNV et/ou avec les services d’urgence d’hôpitaux sans UNV), permettait d’obtenir un taux de thrombolyse IV élevé sur l’ensemble du territoire (252 par million d’habitants en 2016) avec un minimum d’inégalité d’accès aux soins.
Une sélection des patients imparfaite
L’essor de la thrombectomie a réintroduit une inégalité d’accès aux soins. Avec un seul centre pour 4 millions d’habitants, ces 2 départements ont néanmoins un taux de thrombectomie élevé (63 par million d’habitants), voisin de celui rapporté en Catalogne, référence dans le domaine (8). Néanmoins ce taux varie de 17 à 99 (ratio 6 pour 1) selon les arrondissements. Cette inégalité ne pourra être réduite qu’avec le développement d’autres centres de neuroradiologie interventionnelle. C’est la raison pour laquelle la régulation par les SAMU va devoir jouer un nouveau rôle dans la sélection des patients qui doivent aller d’emblée dans une UNV ayant à sa disposition de la neuroradiologie interventionnelle sans passer par l’UNV la plus proche. Pour l’instant le seul moyen fiable pour sélectionner correctement ces patients est une imagerie pré-hospitalière qui identifie les candidats à la thrombectomie sur la présence d’une occlusion artérielle proximale (9). Néanmoins les ambulances équipées avec imagerie embarquée sont peu répandues et s’utilisent surtout dans un cadre de recherche médicale ou médico-économique (9). Leur coût de fonctionnement risque d’être une limite majeure. En l’absence de moyen permettant de visualiser l’occlusion, les modalités de sélection restent imparfaites. La sélection sur un traitement anticoagulant en cours est appropriée si le délai supplémentaire pour accéder à un centre de thrombectomie ne dépasse pas 30 minutes, sinon le retard de prise en charge des 20 à 25 % d’hémorragies ne serait pas acceptable. La sélection sur la sévérité clinique est probablement ce qui est le plus adapté mais elle n’est pas parfaite.
Nous disposons actuellement d’un arsenal thérapeutique optimal pour la prise en charge de l’ischémie cérébrale. Le bénéfice réel pour la population dépendra des capacités d’innovation des soignants pour réduire les délais, et de décisions organisationnelles des pouvoirs publics (10). Les médecins régulateurs du SAMU ont un rôle crucial à jouer. L’appel initial au SAMU centre 15 était déjà l’un des facteurs déterminants du pronostic quand la thrombolyse IV était la seule technique de reperfusion disponible. Il devient encore plus crucial à l’ère de la thrombectomie mécanique.
(*) CHU de Lille, service de neurologie vasculaire
(**) Service des urgences et SAMU 59
(***) Université de Lille, INSERM U
1. Langhorne P & al. Do stroke units save lives? Lancet 1993;342:395–8.
2. International-Stroke-Trial-Collaborative-Group. The International Stroke Trial (IST): a randomised trial if aspirin, subcutaneous heparin, both, or neither among 19435 patients with acute ischaemic stroke. Lancet 1997;349:1569–81.
3. Emberson J & al. Effect of treatment delay, age, and stroke severity on the effects of intravenous thrombolysis with alteplase for acute ischaemic stroke: a meta-analysis of individual patient data from randomised trials. Lancet 2014;384:1929–35.
4. Badhiwala JH & al. Endovascular Thrombectomy for Acute Ischemic Stroke: a meta-analysis. JAMA 2015;314:1832.
5. Vahedi K, & al. Early decompressive surgery in malignant infarction of the middle cerebral artery: a pooled analysis of three randomised controlled trials. Lancet Neurol 2007;6:215–22.
6. Dequatre-Ponchelle N & al. Rate of intravenous thrombolysis for acute ischaemic stroke in the North-of-France region and evolution over time. J Neurol 2014;261:1320–8.
7.Casolla B & al. Intra-hospital delays in stroke patients treated with rt-PA: impact of preadmission notification. J Neurol 2013;260:635–9.
8. Abilleira S & al. Geographic dissemination of endovascular stroke thrombectomy in Catalonia within the 2011–2015 period. Eur Stroke J 2017;2:163–70.
9. Fassbender K & al. Mobile stroke units for prehospital thrombolysis, triage, and beyond: benefits and challenges. Lancet Neurol 2017;16:227–37.
10. Leys D. La prise en charge en urgence de l’ischémie cérébrale n’est plus qu’une problématique organisationnelle. Pour l’hémorragie cérébrale spontanée tout reste à faire. Presse Med 2017;46:1–3.
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