CES RÉSULTATS contradictoires semblent signifier que M. Sarkozy peut obtenir une majorité relative, mais pas une majorité absolue. En d'autres termes, il serait marginalisé par la vive aversion qu'éprouverait pour lui une partie non négligeable de la population, extrême gauche, Verts et gauche. Et qu'un phénomène de rejet pourrait se produire au second tour, inspiré par le « Tout sauf Sarkozy » qu'ont inventé les chiraquiens et qui serait repris en choeur par la gauche.
On assisterait donc à une défiance de l'électorat à l'égard de M. Sarkozy comparable au rejet total de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002. François Bayrou attirerait vers lui non seulement une partie des voix de la droite, mais aussi toutes celles de la gauche, qui le préfère à M. Sarkozy.
Ignoble ?
Il ne reste pas beaucoup de temps au candidat de la droite pour réfléchir sur ce problème et tenter de le résoudre. Il n'a pas su, jusqu'à présent, ou n'a pas voulu, apparaître comme le candidat de tous les Français, un président capable de convenir aux riches, aux pauvres, aux immigrés ou enfants d'immigrés. Sa campagne ne passe pas par les cités où M. Bayrou est accueilli triomphalement ; il se dresse contre ceux qu'il appelle trop souvent « les voyous » avec la vigueur d'un homme prêt à aller les combattre physiquement ; Ségolène Royal se donne alors le beau rôle en lui demandant de se calmer. Il est vrai qu'elle fait campagne avec une sérénité à nulle autre pareille ; mais, enfin, quand elle a traité d'ignobles les propos de M. Sarkozy sur l'identité nationale, elle n'aura mesuré ni l'insulte contenue dans ce terme, ni l'excès d'indignité qu'elle conférait de la sorte à une valeur qui est celle de 60 millions de Français.
M.SARKOZY NE CROIT SANS DOUTE PAS QU'IL PUISSE RASSEMBLER TOUS LES FRANCAIS, IL TENTE DONC DE FAIRE LE PLEIN DE LA DROITE
Mme Royal n'est pas non plus une championne de la cohérence : elle n'avait pas plus tôt descendu en flammes l'identité nationale qu'elle sombrait dans un accès aigu de chauvinisme en exaltant du drapeau tricolore (ce qui convient à tous les patriotes) et en obligeant une de ses nombreuses assistances à chanter deux fois la Marseillaise (ce qui est tarte, une fois suffit largement).
Bref, on a compris : Mme Royal, elle, ne veut se quereller avec aucune minorité, elle souhaite vraiment mettre dans sa poche à peu près toutes les catégories sociales ; c'est en quoi, nous affirme-t-elle, elle serait différente. Cette démarche a eu d'excellents résultats jusqu'au moment où François Bayrou s'est mis à jouer le même rôle : on avait soudainement le choix entre deux candidats oecuméniques.
Une tactique délibérée.
M. Sarkozy, lui, n'est pas un suiviste. Si, tour à tour, Mme Royal et M. Bayrou veulent jouer les rassembleurs, grand bien leur fasse. Sarko, lui, continuera à dénoncer, comme s'il était encore ministre de la Sécurité, tous ceux qui incendient des voitures et resquillent dans le métro. Cela lui vaut des inimitiés durables et des accusations excessives, comme celles de Lilian Thuram qui le présente comme un « raciste ». Ce n'est pas dans le maximalisme verbal que les électeurs s'y reconnaîtront. Quitte à déplaire à ce footballeur, M. Sarkozy n'est pas raciste. Et même si la jeunesse des quartiers se détourne de lui, des immigrés ou des Français issus de l'immigration ne sont pas hostiles au candidat de l'UMP.
Lequel s'en tient à une tactique qu'il a mise en oeuvre au début de la campagne et que les événements ne font que renforcer : il continuera à dénoncer les délinquants sans se soucier de la couleur de leur peau parce qu'il ne croit pas qu'il finira par conquérir des électeurs de la gauche dure. Il espère en revanche faire le plein de la droite au second tour, en récupérant le vote FN – ou une partie – du premier tour ; c'est ceux-là qu'il ne veut pas décevoir et c'est ce qui explique que ses adversaires ont perçu son jeu et essaient de le reléguer, par des épithètes insultantes (raciste, ignoble), dans le ghetto de l'extrême droite.
Nicolas Sarkozy doit-il mettre à profit les 19 jours qui restent avant l'élection pour lisser son image et devenir centro- ou gaucho-compatible ? La décision lui appartient, bien sûr, mais on peut comprendre qu'il n'ait aucune envie de participer à une dérive de la gauche qui ne date pas d'aujourd'hui et qui a abouti parfois à un renversement des valeurs, par exemple quand on a entendu des voix de gauche s'élever contre la police et encenser les resquilleurs dans l'affaire de la gare du Nord.
M. Sarkozy parle « d'effondrement moral » de la gauche, ce qui, bien entendu, participe du langage électoral, mais n'est pas dénué de tout fondement. Ce n'est pas la première fois que l'on surprend la gauche, socialistes compris, excuser la violence pour mieux condamner la répression, éprouver une grande indulgence pour des actes qui relèvent de la délinquance, et, en définitive, contribuer à l'inquiétude des Français qui aimeraient bien savoir si le pouvoir est là pour les défendre ou pour encenser les violents et les violeurs.
En tout cas, si Ségolène Royal est capable de juger ignoble une référence à l'identité nationale et d'exposer son patriotisme tout à la fois, Nicolas Sarkozy ne fait pas ce genre de grand écart. On ne tardera pas à savoir s'il a eu raison d'être fidèle à lui-même.
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