Livres
Après l'attribution du Goncourt à Pascal Quignard, c'est à nouveau un grand prix insolite qu'a élu dans la catégorie roman - mais s'agit-il vraiment d'un roman ? - le jury Médicis en choisissant, devant « Tigre en papier » d'Olivier Rolin (Seuil) et « Faire l'amour » de Jean-Philippe Toussaint (Minuit), le livre d'Anne F. Garréta, « Pas un jour » (Grasset).
« Que faire de ses penchants ?.. T'assignant cinq heures par jour, un mois durant, à ton ordinateur, tu te donnes pour objet de raconter le souvenir que tu as d'une femme ou autre que tu as désirée ou qui t'a désirée. Tu les prendras, jour après jour, dans l'ordre où elles te reviendront en mémoire. Tu les coucheras ensuite dans l'ordre impersonnel de l'alphabet. Au fil du clavier, tu décimeras purement tes souvenirs », écrit Anne Garréta dans une sorte de prélude-mode d'emploi de son livre. Et d'ajouter : « Dissiper ou digresser tes désirs, telle est donc la finalité de ce libertinage mental à heures fixes auquel tu t'adonneras ».
Douze chapitres, douze femmes, douze histoires de caresses et de passions, de regrets et de trahisons. Pour leur donner la réplique, une treizième personne, la narratrice, qui se raconte mais en prenant la distance du tutoiement et de l'interpellation. Il n'y a rien de provocateur dans ce livre, au contraire sensible et même ironique, intime mais pudique, à l'écart de la mode de l'autofiction, du nombrilisme ou du discours militant homosexuel. La narratrice se moque de ceux qui « font boutique de leur cul » et ajoute que ce n'est pas parce que « les idolâtres, les fétichistes, les pornographes occupent le terrain (...) qu'il faudrait leur abandonner l'étendue entière du discours sur le désir ».
Et encore : « La vie est trop courte pour se résigner à lire des livres mal écrits et coucher avec des femmes qu'on n'aime pas. Affaire de style ». Tout est dit.
Du style, Anne Garréta en a, et de l'originalité et de la volonté. Elle l'a montré dès son premier livre, « Sphinx », publié lorsqu'elle avait 23 ans seulement, en 1986, dans lequel rien ne permettait d'identifier le sexe des personnages. Normalienne, elle est partie après enseigner aux Etats-Unis, puis elle a été pensionnaire à la villa Médicis avant de reprendre l'enseignement de la linguistique en France. Membre de l'Oulipo, cet atelier d'expérimentation littéraire cher à Raymond Queneau, à partir des années 60, elle a aussi écrit « Ciels liquides », « la Décomposition » et « le Serpent à plumes ».
Le prix Fémina à Chantal Thomas : Versailles fin de règne
Le prix Fémina a donc été attribué à Chantal Thomas pour son roman « les Adieux à la reine », le récit des trois dernières journées qu'a passées à Versailles Marie-Antoinette en juillet 1789, tandis que Michka Assayas (« Exhibition », L'arpenteur-Gallimard), Jean-Philippe Toussaint encore (« Faire l'amour », Minuit) et Hugo Marsan (« la Gare des faux départs », Mercure de France), obtenaient également des voix.
Il s'agit du premier roman, mais non du premier livre de cet auteur âgée de 57 ans, élève de Roland Barthes, actuellement directrice de recherches au CNRS et qui a derrière elle une belle uvre d'essayiste ; elle a notamment écrit des ouvrages sur Sade, Casanova, Thomas Bernhard et, déjà, sur Marie-Antoinette.
Car Chantal Thomas est une grande spécialiste du 18è siècle. Mais, après tant d'ouvrages érudits, le passage par la fiction était devenu pour elle une « obligation » afin, explique-t-elle, d'insuffler de la vie dans ce monstre de désolation et de froideur qu'était alors Versailles.
Si l'on entre dans le palais, c'est avec une sans-grade, une certaine Agathe-Sidonie Laborde qui fut pendant onze ans « lectrice-adjointe » de Marie-Antoinette, « une toute petite fonction rendue encore plus mince par son peu de goût pour la lecture ». Cependant, en cette période troublée où ses proches l'abandonnent, même la belle Gabrielle de Polignac, la reine la réclame plus souvent que de coutume pour la distraire, nonobstant sa voix un peu monocorde.
Comme sa vie, car Agathe-Sidonie n'a ni mari, ni amant, ni ami. Elle a en revanche tout son temps pour observer, ce qui nous vaut une sorte de vie quotidienne à la cour de Versailles assortie de mille et un détails, par une inconditionnelle du château.
Car la lectrice adorait Versailles, fascinée par la beauté de ce lieu « où régnait la Fortune (...), où dominait le meilleur ton (...) où se décidait la mode. Et tant pis si l'on portait parfois des dentelles mangées par les souris : elles inventaient, malignes, un point nouveau ».
C'est à Vienne, où elle s'est exilée après s'être enfuie, juste après la prise de la Bastille, et que Napoléon vient d'envahir, qu'Agathe-Sidonie Laborde se remémore ces journées des 14, 15 et 16 juillet 1789, « l'effondrement, en moins d'une semaine, d'un ensemble de rites que j'avais cru définitifs ».
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