AU DÉBUT DES ANNÉES 1960, Alain Carpentier se destinait à une carrière de chirurgien orthopédique auprès du Pr Judet, à Paris. Mais, au cours de son dernier semestre d'interne à l'hôpital Marie-Lannelongue, dans le service du Pr Jean-Paul Binet, il a pris conscience du champ de liberté que représentait la chirurgie cardiaque, domaine où, comme il le raconte au « Quotidien », « tout était possible parce qu'il n'y avait rien. L'arrivée en 1964 de la valve de Starr a modifié notre approche chirurgicale, puisque en un geste simple il était possible de mettre en place une prothèse qui permettait un remplacement valvulaire fiable et immédiatement fonctionnel. Mais, un jour, un de nos patients, artiste peintre, qui avait été opéré quelques jours auparavant d'un remplacement valvulaire a présenté un accident vasculaire cérébral. J'ai pensé qu'il était absolument nécessaire de réfléchir à des solutions de remplacement prothétiques moins thrombogéniques. Puisque tous les matériaux synthétiques sont dotés d'un pouvoir emboligène, la solution humaine ou animale apparaissait comme la seule possible.
«J'ai d'abord prélevé des valves dans les funérariums. Mais, en raison du délai légal de 48heures avant de pouvoir effectuer un prélèvement post-mortem , les valves étaient souvent endommagées. J'ai donc choisi de m'orienter vers la réalisation de prélèvements animaux chez le porc et le veau.
«En 1965, en compagnie du PrBinet, nous avons réalisé la première xénogreffe valvulaire au monde à partir d'un prélèvement porcin traité par une solution de mercure inactivante. Dans les années qui ont suivi, les procédures d'inactivation ont été améliorées par Sophie Carpentier, et le glutaraldéhyde a été préféré au mercure en raison de ses capacités à réduire l'immunogénicité de la valve. J'ai ensuite ajouté au prélèvement un dispositif en Teflon qui facilitait l'implantation valvulaire.
«La première bioprothèse ainsi créée –encore qualifiée de “french correction”– a été implantée en 1968 dans le service du PrCharles Dubosc, chez un patient qui a survécu dix-huit ans. La suite: une rencontre avec le Pr Starr, le développement de trois générations de bioprothèses pour pallier les problèmes de calcification à moyen terme et, aujourd'hui, une nouvelle génération de cardiologues interventionnels tels que les PrsAlain Cribier et Philipp Bonhoeffer qui utilisent les bioprothèses pour des remplacements valvulaires par voie percutanée».
Deux autres carrières ont été couronnées par le prix Lasker. Le Pr Ralph M. Steinman l'a reçu pour le travail qu'il mène depuis trente-quatre ans sur les cellules dendritiques. Le Pr Anthony Fauci a été récompensé pour son travail en santé publique, dont la mise en place aux Etats-Unis de programmes de prévention du sida et de lutte contre le bioterrorisme.
Un esprit d'innovation qui a oeuvré pour la santé publique
Pour le Pr Didier Houssin, directeur général de la Santé, «le PrAlain Carpentier reste avant tout un chirurgien de grande valeur qui a toujours su s'impliquer au quotidien dans le dévouement auprès de ses patients, dans la gestion de son service et qui a su mettre en place une école de chirurgie. Tout au long de sa carrière, il s'est attaché à améliorer les techniques chirurgicales existantes et à mettre au point des approches nouvelles. C'est cet esprit d'innovation qui l'a amené à imaginer l'utilisation de tissus d'origine animale désactivés: les valves xénogéniques qui conservent leurs qualités mécaniques. Le PrCarpentier a surtout su transformer une innovation en une réalité technologique concrète qui s'est inscrite dans une dimension de santé publique.
Attribuer le prix Lasker à un chirurgien met en lumière le travail d'innovation chirurgicale, première étape d'un processus de recherche qui fait intervenir d'autres domaines médicaux pour aboutir à la réalisation de traitements complexes. On peut rapprocher de cette innovation le travail complexe (immunologique, pharmacologique…) effectué dans le domaine de la greffe et qui n'a été possible qu'à partir du moment où un geste chirurgical nouveau –la suture vasculaire– a été réalisable».
Dans les années 1950, Albert Starr
Albert Starr était interne en chirurgie cardiaque dans les années 1950. A cette époque, les pathologies mitrales rhumatismales étaient opérées tardivement et, en moyenne, les patients survivaient quatre mois après le geste chirurgical.
Le Pr Starr fut contacté en 1958 par un ingénieur à la retraite, Lowell Edwards, qui, après avoir déposé 63 brevets dans le domaine de l'aviation et de l'hydrolique, avait décidé de mettre au point un coeur artificiel. Le chirurgien lui a proposé de mettre d'abord au point une valve prothétique. L'ingénieur a eu l'idée d'assembler sur un socle en Teflon des clapets en silicone qui s'ouvraient comme des portes de saloon. Mais, dans les jours qui ont suivi la première implantation, la valve a thrombosé et les deux chercheurs ont dû revoir leur copie.
En 1960, le duo imagine une prothèse à bille flottante dans une cage en silicone qui pouvait être utilisée sous couvert d'anticoagulation. En septembre de cette même année, le premier patient qui a reçu cette prothèse a été le premier à vivre plus de trois mois après un remplacement valvulaire. Il est décédé dix ans après l'intervention en tombant d'une échelle.
A la fin de l'année 1961, le Pr Starr avait déjà opéré 6 malades et il avait mis en place des protocoles d'étude clinique pour évaluer le suivi de ses patients. La valve mécanique brevetée en 1965 est encore utilisée à ce jour. Aujourd'hui, dans le monde, 300 000 personnes sont opérées chaque année d'un remplacement valvulaire par bioprothèse ou valve mécanique. Au total, 4 millions de personnes vivent ou ont vécu avec une prothèse valvulaire.
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