LES SUBSTANCES exogènes susceptibles d’altérer le fonctionnement du système endocrinien, appelées « perturbateurs endocriniens » (PE), peuvent être naturelles (phytoestrogènes) ou produites par l’industrie chimique. On trouve ces PE dans l’environnement aérien, aquatique, terrestre et dans les aliments (par migration à travers les emballages ou comme des résidus des traitements phytosanitaires). Force est de constater que 70 000 substances chimiques sont vendues à plus d’une tonne dans les pays européens. Sur 564 substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens, la Commission européenne en a retenu 66 pour une liste prioritaire : polluants organiques persistants (POP), constituants des plastiques, pesticides (insecticides, nématocides, fongicides, herbicides), métaux, composés bromés et dérivés phénoliques. Bien que la fabrication des POP (polychlorobyphényles, pesticides organochlorés, dioxines, furanes) soit interdite ou très réglementée dans les pays occidentaux, leur grande résistance à la dégradation et leur utilisation dans certains pays expliquent qu’ils soient toujours détectés dans les denrées. L’essentiel de la littérature scientifique concerne les effets des PE sur la reproduction. Cependant, d’autres effets ont été observés : les perturbations de la fonction thyroïdienne et des glandes surrénales, l’altération du système immunitaire ou les troubles neurocomportementaux. La majeure partie des PE qui ont été décrits sont des substances ayant des effets estrogéniques (mimant l’effet du 17 bêta-estradiol) ou des effets androgéno-mimétiques.
Incertitude sur le lien de cause à effet.
Les preuves les plus tangibles de la relation entre PE et perturbation endocrinienne ont été apportées chez certaines espèces de la faune sauvage. A titre d’exemple, citons : l’impact du tributylétain (un composant des peintures antisalissures) sur le contrôle hormonal des bulots vivant en mer du Nord, les troubles de la reproduction et du système immunitaire des phoques vivant dans les sites marins contaminés par les PCB, la responsabilité de DDT dans l’atteinte (micropénis) de la population des alligators dans certains lacs de Floride.
Chez l’homme, des données épidémiologiques montrent une baisse de qualité de sperme, des anomalies de la fonction ovarienne, une incidence accrue des malformations du système reproducteur, une augmentation de certains cancers hormonodépendants (testicules, sein). Cependant, nous ne disposons pas assez de données sur le lien de cause à effet entre ces observations et les contaminants alimentaires. Il est intéressant de rapporter deux études épidémiologiques récentes (sous presse) qui ont mis en évidence une corrélation entre, d’une part, le développement prématuré des seins et la présence des phtalates dans le sérum des jeunes filles portoricaines et, d’autre part, l’exposition à ces composés chez les mères et la distance ano-génitale chez les nouveau-nés. A noter que les phtalates interviennent dans la fabrication et la composition d’un grand nombre de matériaux et de produits (chlorure de polyvinyle, peintures, colles, détergents, jouets, produits cosmétiques et pharmaceutiques...) et que leur consommation en Europe est d’environ 1 million de tonnes par an. Certains chercheurs affirment que les PE présentent un danger pour l’homme non seulement à des niveaux élevés d’exposition, mais aussi à de faibles doses. Les travaux expérimentaux portant sur le bisphénol A vont dans ce sens en démontrant chez les souris gravides exposées à des doses de 10 µg/kg/j (donc proche des valeurs d’exposition de la femme enceinte) des modifications dans le développement de la prostate chez les foetus mâles. Or 95 % des échantillons d’urine collectés auprès de 394 adultes aux Etats-Unis contiennent des niveaux quantifiables de bisphénol A (présent dans les emballages alimentaires, les revêtements de boîtes de conserve, les résines en dentisterie, etc.). Une étude montre que l’exposition de rates à la vinchlozoline (un fongicide) entre le huitième et le quinzième jour de gestation a des effets (altération des mécanismes de méthylation de l’ADN au cours de l’embryo- genèse) sur les individus exposés inutero et aussi sur ceux de générations ultérieures et cela jusqu’à la quatrième génération ! On peut également craindre les effets additifs ou synergiques des contaminants chimiques, vu que certains mélanges des herbicides sont toxiques lorsque chacun des composés isolément ne l’est pas.
Développer les recherches.
Il est donc urgent de déterminer quel est l’impact sur la santé humaine des molécules xénobiotiques utilisées à grande échelle. Ce qui sous-entend de plus amples recherches dans ce domaine pour mieux comprendre des facteurs de vulnérabilité vis-à-vis de la toxicité des PE, ainsi que le développement rapide des tests sensibles, capables de mesurer des effets des PE sur les différents équilibres endocriniens.
D’après la communication de J.-P. Cravedi (UMR xénobiotiques Inra/Entv), expert auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, lors d’une réunion à l’Institut français pour la nutrition.
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