CLAIRE NAUD, ouvrière sérigraphiste, a accouché le 17 août 1992, à l'âge de 34 ans, d'une petite fille prénommée Roxane, atteinte de graves malformations (hypertrophie des os du nez, atteintes au nez et aux doigts) et d'un important retard de développement. « Aujourd'hui âgée de 12 ans et demi, elle ne marche pas, elle ne parle pas, elle ne peut pas se tenir debout », témoigne son avocate, Me Sylvie Topaloff.
Pour la plaignante, aucune cause médicale ne peut expliquer l'état de sa fille, nulle anomalie chromosomique ni atteinte infectieuse n'ayant été décelée. Selon elle, il ne peut s'agir que d'une cause « toxique exogène ». Dans le cadre de son travail, et notamment au début de sa grossesse, Claire Naud affirme avoir régulièrement été en contact avec des éthers de glycol, présents dans les encres et les solvants. Inquiète des conséquences éventuelles de l'exposition aux solvants pour la santé de son futur enfant, elle avait consulté en janvier 1992 le médecin du travail, qui préconisait « d'éviter l'exposition aux postes les plus polluants (...) , les effets réels de certains solvants (étant) encore incomplètement connus chez l'homme ». La plaignante soutient que, malgré ce conseil, la direction de son entreprise, Sérigraphie Aquitaine Flocage, a refusé de l'éloigner des postes exposés. Parallèlement, elle estime que les conditions de sécurité et de protection des salariés n'étaient pas réunies.
« Je souhaite que l'on reconnaisse les effets tératogènes des éthers de glycol sur ma fille et, au-delà, que l'on reconnaisse la responsabilité des employeurs concernant les problèmes de protection des salariés dans les PME », indique Claire Naud, qui demande des dommages et intérêts. De son côté, l'avocate de l'entreprise, Me Hélène Fabre, estime que rien ne démontre que Roxane ne souffre pas d'une maladie génétique non encore répertoriée. « Il appartient aux demandeurs de prouver que l'on ne se trouve pas dans le cadre de ces maladies non étiquetées », a-t-elle dit, insistant sur les « antécédents familiaux » - selon elle, trois personnes de l'entourage proche de la mère sont atteintes de maladies génétiques. En outre, « dix naissances d'enfants ont eu lieu dans cette entreprise sans le moindre problème », souligne l'avocate.
Plusieurs études accusatrices.
Toutefois, les effets sur la santé, et en particulier sur la reproduction, des éthers de glycol se trouvent au centre de plusieurs affaires de justice lancées par des salariés exposés dans le cadre du travail.
Mina Lamrani, de l'Association des victimes des éthers de glycol (Aveg), mère d'un garçon atteint d'atrophie du visage et de sclérodermie, qui a également manipulé ces substances pendant sa grossesse, a porté plainte en 2001 et attend une décision en juin prochain. « L'association a répertorié 80 dossiers de victimes », indique-t-elle. L'affaire de Thierry Garofalo, ancien employé des usines IBM devenu stérile, qui avait déposé plainte en juillet 2002 contre cette société, est toujours en cours (« le Quotidien » du 24 novembre 2003).
Une étude de l'Inserm chez des salariés de la mairie de Paris (2000) et de la Ratp (2002) montre une atteinte de la qualité du sperme (baisse du nombre de spermatozoïdes et baisse du nombre des formes normales), neuf ans après la cessation de l'exposition.
« On connaissait cette persistance des effets sur le sperme chez l'animal, mais c'est la première étude à le montrer chez l'homme », relève André Cicolella, spécialiste des éthers de glycol. La première étude (suisse) montrant un effet délétère sur la reproduction date de 1971. L'Etat de Californie a publié en mai 1982 le premier avis d'alerte, mais la classification européenne des éthers de glycol n'a commencé qu'en octobre 1993. Quatre éthers de glycols de type E (EGME, EGMEA, EGEE, EGEEA) ont été classés toxiques pour la reproduction. Le collectif « Ethers de glycol » réclame l'interdiction des éthers de glycol toxiques en milieu professionnel.
Le jugement du procès de Claire Naud a été mis en délibéré au 8 mars prochain.
L'office parlementaire est saisi
La commission des affaires économiques du Sénat a décidé, le 14 décembre dernier, de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. L'Opesct aura pour mission d'évaluer « les problèmes posés par la fabrication industrielle des éthers de glycol, notamment du point de vue des enjeux économiques et de la protection des consommateurs ». L'Association des accidentés de la vie (Fnath) réitère sa demande d'interdire les éthers de glycol en milieu professionnel au même titre que dans les produits de consommation.
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