Des travaux sur Mycoplasma genitalium

Le premier génome synthétique est en vue

Publié le 19/11/2007
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LE PREMIER GÉNOME bactérien entièrement synthétique sera-t-il prêt à fonctionner dans quelques mois ? C'est bien ce qu'espèrent les chercheurs de l'institut J. Craig Venter (JCVI), aux Etats-Unis, qui se sont donnés cet objectif il y a plus de dix ans et qui ont récemment franchi de nombreuses étapes essentielles à sa réalisation.

Si le but théorique de la démarche est la compréhension de ce qui constitue la vie au niveau d'une cellule, le but pratique, et certainement plus profitable, est de créer des organismes totalement artificiels, capables de produire à la carte des molécules à usage pharmaceutique, industriel ou destinées à l'amélioration de l'environnement. Pour l'équipe de Craig Venter, l'idée est d'inventer des micro-organismes usines à carburants « verts ». L'apparition d'une technologie susceptible d'introduire dans la nature de nouvelles fonctions biologiques reproductibles s'inscrit dans un vide éthique et réglementaire, même si un rapport réalisé par l'institut Venter, en collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et une organisation à but non lucratif, le CSIS (Center for Strategic and International Studies), et rendu public en octobre (1), propose des solutions pour éviter certaines retombées néfastes possibles, comme la fabrication d'armes biologiques.

Le plus petit génome.

Le premier génome artificiel est le fruit d'un procédé laborieux. Il a d'abord fallu sélectionner un micro-organisme aux caractéristiques favorables. Le groupe de recherche de JCVI a choisi Mycoplasma genitalium, une bactérie responsable chez l'homme de pathologies des conduits uro-génitaux, dont la plus courante est l'urétrite non-gonococcique. Mycoplasma genitalium, une bactérie sans paroi cellulaire et ne contenant que 528 gènes, a l'avantage d'être dotée «du plus petit génome» naturel capable de se reproduire librement au laboratoire.

Pour faciliter les manipulations futures, les chercheurs ont alors étudié la possibilité de réduire encore la taille du chromosome du mycoplasme. Ils ont identifié des gènes non essentiels à la survie de ce microbe dans le milieu de culture considéré (2). Ils ont ainsi déterminé qu'il devrait être possible de se débarrasser d'une centaine de ces gènes. Le micro-organisme résultant, pour lequel ils ont suggéré le nom de Mycoplasma laboratorium, posséderait un génome capable de coder la synthèse de 387 protéines et de 43 ARN de structures et constituerait une «cellule bactérienne minimale», c'est-à-dire une cellule où toute l'information génétique présente est nécessaire au fonctionnement dans les conditions particulières où elle se trouve.

Il reste maintenant aux chercheurs à synthétiser au laboratoire le génome complet (ou minimal) du microbe, une étape nécessaire pour l'introduction ultérieure de gènes sur mesure. Puis ils devront montrer que ce génome assemblé par l'homme est capable de transmettre son message génétique dans une cellule bactérienne réceptrice et de diriger le métabolisme de cette cellule pour ses propres fins. En effet, reproduire une cellule artificielle complète avec toute sa machinerie biologique n'est pas une chose faisable, pour le moment.

L'étape de la synthèse est sans doute la plus facile à franchir, surtout lorsque l'on sait que, en 2003, une équipe dirigée par Craig Venter a déjà synthétisé un ADN viral en quelques jours (3). Quant à la possibilité de faire accepter un génome étranger par une cellule hôte, une autre équipe de l'institut Venter a démontré, dans un article publié dans le magazine « Science » en juin dernier (4), que cela était également réalisable. Les chercheurs ont en effet réussi à transférer et à faire s'exprimer le génome complet d'un mycoplasme d'une espèce dans la cellule d'un mycoplasme d'une autre espèce. Dans ce cas, l'ADN de Mycoplasma mycoïde (Mm) a été introduit dans des cellules de Mycoplasma capricolum (Mc). A la suite de la transplantation d'ADN, le mycoplasme receveur Mc a perdu ses propres caractéristiques qui ont été remplacées par celles du mycoplasme Mm. L'opération a donc résulté en la transformation d'une espèce microbienne en une autre.

Ainsi, tout semble prêt pour la réalisation de l'étape finale de la synthèse et de l'expression d'un génome synthétique bactérien de Mycoplasma genitalium.

D'ailleurs, en prévision de ce succès, l'institut de Craig Venter a déposé une demande de brevet rendue public en mai 2007, qui couvre l'usage de l'ADN réduit de ce microbe pour la production d'éthanol ou d'hydrogène.

Quels risques en cas de dissémination ?

Bien que dès 1999 des scientifiques, comme Arthur Caplan, directeur du centre de bioéthique de l'université de Pennsylvanie, aient encouragé une discussion publique autour de la génomique synthétique (5), celle-ci semble émerger sans qu'il existe une réelle prise de conscience de ses enjeux et de ses risques. Pourtant, maintenant que la capacité de créer des micro-organismes porteurs d'une information génétique contrôlable, modifiable et différente de celle qui existe dans la nature semble imminente, un débat apparaît plus que jamais justifié, à la fois au niveau des communautés scientifiques et civiles et au niveau international. Pour Arthur Caplan, ce débat devrait s'articuler autour de deux directions principales : d'une part, la sécurité de la technologie et, d'autre part, le droit à la propriété industrielle de ce qui touche au vivant.

Le problème de sécurité a lui-même deux aspects majeurs : que se passerait-il si de tels organismes artificiels s'échappaient accidentellement dans la nature ? Et que se passerait-il si des gens malintentionnés mais bien équipés décidaient de détourner la biologie synthétique à des fins néfastes ? C'est surtout à ce deuxième aspect que se consacrent les suggestions du rapport Venter-MIT-CSIS récemment publié.

Ironiquement, peut-être, c'est la formulation très peu restrictive de la demande de brevet de l'équipe de JCVI – un fait qui a irrité, entre autres, une organisation canadienne appelée ETC Group qui a fait opposition à ce brevet – qui relance l'autre élément du débat. Arthur Caplan lui aussi s'inquiète. «Il y a trop de brevets. Ces brevets sont trop étendus, dit-il au « Quotidien ». «Il faut définir ce qu'il est approprié de breveter, et ce qui doit être publié (pour le rendre accessible à tous) », ajoute-t-il.

Et le meilleur lieu pour le faire, serait, selon lui, au sein d'organisations comme l'OMS, les Nations unies ou l'Union européenne. Quant au respect des règles, sa recommandation est qu'il soit assuré par l'intermédiaire d'entités indépendantes, comme des instances gouvernementales.

(1) jcvi.org/research/synthetic-genomics-report/media/synthetic-genomics-report.pdf. Le projet a été financé par la fondation Alfred P. Sloan.
(2) « Proc Natl Acad Sci USA », 2006. 103(2) : p. 425-30.
(3) « Proc Natl Acad Sci USA », 2003. 100(26) : 15440–15445.
(4) « Science » 3 August 2007 : 632-638 ; DOI : 10.1126/science.1144622.
(5) « Science », New Series, vol. 286, n° 5447. pp. 2087 + 2089-2090.

Craig Venter

– Naissance le 14 octobre 1946 à Salt Lake City.

– Guerre du Vietnam comme infirmier.

– Etudes de médecine et de biologie.

– De 1984 à 1992, travaille pour les National Institutes of Health et se lance dans le séquençage automatisé.

– En 1991, la querelle des brevets est lancée avec les premières demandes déposées sur des séquences partielles de gènes.

– Il fonde en 1992 la compagnie Human Genome Sciences et The Institute for Genome Research (TIGR) puis en 1998 la société Celera Genomics, pour séquencer le génome humain.

– En 1999, l'Office américain accorde les premiers brevets sur des séquences de gènes.

– En 2000, le consortium international Human Genome Project (Francis Collins) et Celera Genomics annoncent le décryptage quasi complet du génome humain. En février 2001, le premier publiera ses résultats dans « Nature » et le second dans « Science ».

– En 2002, il fonde le J. Craig Venter Institute.

> ISABELLE TROCHERIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8260