CHEZ le colibacille ( E. coli), on observe, actuellement en France, une résistance acquise aux quinolones de l'ordre de 12 à 15 %, avec une meilleure activité des fluoroquinolones du type de la ciprofloxacine (Ciflox) ou de l'oflaxacine (Oflocet) et un taux de résistance proche de 10 %. Les mécanismes de résistance connus chez le colibacille étaient tous médiés par des gènes chromosomiques, c'est-à-dire stables et non transférables d'une souche à une autre ou d'une espèce bactérienne à une autre. Ces mécanismes de résistance découlaient logiquement du mécanisme d'action de ces antibiotiques. Les quinolones agissent chez le colibacille essentiellement après avoir pénétré dans le cytoplasme bactérien en inhibant une enzyme, l'ADN gyrase, qui permet le déroulement harmonieux de l'ADN lors de sa réplication. La résistance aux quinolones était liée à des modifications de cette gyrase ou à un défaut d'accumulation de quinolone à l'intérieur de la bactérie (voir schéma).
Or voici qu'un nouveau mécanisme de résistance est mis en évidence. Il s'agit de la production par la bactérie d'une protéine appelée « Qnr » qui vient s'intercaler entre la quinolone et sa cible, l'ADN gyrase, pour inhiber l'action de l'antibiotique. Fait majeur, le gène de cette protéine est situé sur un élément d'ADN mobile, un plasmide dit conjugatif qui est en mesure de se propager de bactérie à bactérie, ce que l'on appelle une transmission horizontale.
Une souche de E. coli.
L'équipe du Pr P. Nordmann (service de bactériologie-virologie, hôpital de Bicêtre, AP-HP), qui dirige l'unité de recherche « mécanismes émergents de résistance aux antibiotiques » de la faculté de médecine Paris-Sud, vient de mettre en évidence ce nouveau mécanisme de résistance dans une souche de E. coli d'un patient hospitalisé à l'hôpital de Bicêtre fin 2003 (1). Il s'agit du premier cas européen, ce mécanisme ayant été récemment identifié dans des souches américaines et du sud-est asiatique. Ce gène de résistance s'échange facilement avec d'autres espèces d'entérobactéries par un simple transfert de plasmide.
« Il y a lieu d'être inquiet car on sait que le transfert de plasmides est le mécanisme principal de la diffusion de la résistance aux antibiotiques chez les entérobactéries. Nous venons d'ailleurs d'identifier ce même mécanisme de résistance dans une souche d'une autre espèce d'entérobactérie, Enterobacter cloacae , isolée dans notre hôpital », déclare le Pr P. Nordmann. L'apparition de cette nouvelle résistance s'inscrit dans un contexte de pression de sélection forte par l'utilisation croissante des quinolones et des fluoroquinolones en médecine de ville.
Résistante à presque tous les antibiotiques.
Même si le niveau de résistance aux fluoroquinolones conféré par l'expression de la protéine Qnr reste relativement faible, il est clair qu'il constitue un mécanisme additionnel à la disposition de la bactérie pour accroître son niveau de résistance. On sait que les résistances aux antibiotiques sont la résultante dans les souches cliniques, la plupart du temps, d'une association de mécanismes de résistance, parade extrêmement astucieuse pour à la fois élever le niveau de résistance à un antibiotique donné et par la même occasion mieux échapper à différents traitements antibiotiques qui ont une action ciblée. A noter, d'autre part, que cette souche de E. coli est résistante à presque tous les antibiotiques disponibles, puisque le plasmide vecteur du gène de Qnr possède de nombreux autres gènes de résistance aux antibiotiques conférant ainsi une multirésistance à presque toutes les bêtalactamines (y compris aux céphalosporines de 3e génération), à presque tous les aminosides, aux sulfamides, au chloramphénicol, au triméthoprime et à la rifampicine. Enfin, l'équipe du Pr Nordmann (H. Mammeri, M. Van De Loo et L. Poirel) recherche actuellement l'origine de ce nouveau gène de résistance et étudie les mécanismes fins qui gouvernent sa mobilité à l'échelon moléculaire.
Et voici donc venir ce colibacille, souvent isolé en médecine de ville lors d'infections urinaires fréquemment traitées par des quinolones, qui était jusqu'à présent resté assez sensible aux antibiotiques mais qui, par l'acquisition de nouveaux plasmides, deviendrait rapidement multirésistant. Sa multirésistance ne concernera donc à l'avenir pas seulement les souches de la médecine hospitalière, « tu quoque fili ! ».
D'après un entretien avec le Pr Patrice Nordmann, service de bactériologie-virologie, CHU de Bicêtre.
(1) H. Mammeri et al. Emergence of plasmid-mediated quinolone resistance in Escherichia coli in Europe. « Antimicrob Agents Chemother », janvier 2005, sous presse.
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