Cela commence par un entrefilet anodin, publié en pages intérieures du « Bulletin » de l’Ordre d’octobre 2006 : «Un poste de conseiller national coopté sera bientôt vacant, en décembre 2006, le mandat de son titulaire arrivant à expiration (...). L’élection aura lieu au début de la 271esession du Conseil national, le jeudi 14 décembre 2006 à 14heures. »
Moins anodin qu’il n’y paraît cependant, puisque le poste de conseiller national à coopter n’est autre que celui du Pr Jacques Roland, par ailleurs président du Cnom.
Le Cnom est en effet composé d’une grosse quarantaine de conseillers nationaux, dont la plupart sont élus au Conseil national par les membres des conseils départementaux. En revanche, trois conseillers nationaux ne sont pas élus mais cooptés par leurs pairs. Leurs prérogatives sont identiques, mais leur mode de désignation fait qu’ils sont, plus que les autres conseillers nationaux, soumis au contrôle direct de ceux qui les ont choisis.
En décembre 2000, le Pr Jacques Roland a ainsi été coopté pour six ans comme conseiller national et, le 30 juin 2005, il était élu président de ce même Conseil national. Mais il devra être à nouveau coopté le 14 décembre prochain pour pouvoir continuer son mandat de président, qu’il devra en outre remettre en jeu l’été prochain lors du renouvellement par tiers des membres du conseil national.
Inflexion des dogmes.
Dès son élection, le Pr Roland a introduit des changements notables dans la gouvernance du Cnom : davantage de collégialité, une délégation accrue, et une communication sensiblement moins solennelle. Chez les médecins de base aussi, le changement s’est fait sentir, et beaucoup de ceux qui sont par exemple impliqués dans la permanence des soins assurent avoir ressenti une inflexion des dogmes ordinaux. L’Ordre semble aujourd’hui plus souvent jugé quand il est au service des patients, de la médecine et des médecins, qu’au service exclusif d’une déontologie parfois jugée désuète ou inadaptée.
Le navire semble cependant agité par d’étranges remous. Cela a commencé il y a quelques semaines par les commentaires sibyllins de certain proche du Conseil national qui murmurait à qui voulait l’entendre que la nouvelle cooptation de Jacques Roland ne serait peut-être pas aussi acquise. Mais, depuis quelques jours, l’affaire prend une tournure plus radicale.
Tel conseiller national, a priori peu suspect d’antipathie à l’égard de Jacques Roland, assurait il y a peu au « Quotidien » qu’ «un groupe de conseillers nationaux, très actif, n’a qu’une envie: en finir avec Jacques Roland. Actuellement, ils aiguisent leurs couteaux». A telle enseigne que, sentant le danger, Jacques Roland aurait indiqué publiquement, lors d’une des dernières sessions du Cnom, qu’il prenait l’engagement de ne pas se présenter de nouveau à la présidence l’été prochain, à l’issue du renouvellement par tiers des conseillers nationaux. Histoire, selon eux, d’inciter ses opposants à patienter jusqu’à cette date, et de lui éviter le désagrément de n’être point coopté à nouveau.
Egalement interrogé par « le Quotidien », un autre conseiller national se lâche et laisse percer une franche opposition à l’actuel président : «Si Jacques Roland est coopté à nouveau en décembre, je ne peux pas imaginer, bien qu’il nous ait assuré du contraire, qu’il ne se représente pas en juin 2007, et il pourrait alors être élu pour un bon moment.
Il y a une très mauvaise ambiance au Cnom, et Jacques Roland ne fait pas grand-chose pour que cela change.» A la question de savoir si une non-cooptation de Jacques Roland ne ferait pas un peu désordre dans l’institution, la réponse est claire : «ça nous est bien égal! Il ne travaille que pour lui. C’est un universitaire qui ne connaît rien au fonctionnement du Cnom.» Ce conseiller assure par ailleurs que les opposants à Jacques Roland sont suffisamment nombreux pour qu’il ne soit pas coopté à nouveau.
« Mouvement spontané ».
Autre conseiller, mais même tonalité : «Roland est un homme bien, mais le problème, c’est qu’il n’a aucune expérience du fonctionnement ordinal, et qu’il n’a aucun contact avec les membres des conseils départementaux. Il serait souhaitable que le président du Cnom soit plus proche de la base des médecins, c’est un problème de fond». Mais c’est très nettement l’éventualité de la re-cooptation de Jacques Roland qui cristallise toutes les oppositions : «Y aura-t-il quelqu’un pour se présenter contre lui le 14décembre? On ne sait pas, mais s’il est re-coopté, je le vois mal tenir sa parole et redevenir simple conseiller en juin, après le renouvellement du tiers des conseillers nationaux.» Un autre conseiller national réagit également : «C’est un mouvement spontané. Si bien que, si Jacques Roland s’en va, on ne sait pas par qui on le remplacera. Cela obligera l’institution à se réformer en profondeur.»
Pour un autre conseiller, le problème dépasse la personne de Jacques Roland : «L’Ordre fonctionne actuellement de manière autocratique, et avec un bureau qui prend des décisions qui vont au-delà des pouvoirs dont il dispose.» Tandis qu’un dernier conseiller a cette formule lapidaire : «Il faut vraiment être idiot pour élire président un conseiller coopté.»
Contacté par « le Quotidien », Jacques Roland a fait savoir qu’il ne souhaitait pas commenter ces informations. Quant à un de ses proches, également contacté, il refuse d’apparaître dans cette enquête, et assure qu’il s’agit d’une campagne d’instrumentalisation qui n’honore pas ses auteurs.
Quant à savoir à qui profiterait le crime, la chose n’est guère aisée. En cas de vacance du pouvoir au Cnom, les statuts prévoient que c’est le conseiller national le plus âgé qui prend la présidence par intérim, en attendant que soit convoquée la session extraordinaire qui procédera à l’élection du nouveau président. Mais le conseiller national le plus âgé est le Dr René Legendri, issu du conseil départemental de la Martinique, né en 1926 et a priori peu suspect de vouloir fomenter un putsch.
Il reste que tous les conseillers nationaux qui ont témoigné, anonymement, pour « le Quotidien », assurent qu’ils ne roulent pour personne, que ce mouvement est spontané, et qu’ils n’ont aucune idée de qui pourrait bien lui succéder. Prudence tactique ? Imprévoyance ? Amateurisme ? Il semble à tout le moins que l’Ordre des médecins aurait besoin d’une modification de ses statuts. Car le mode de désignation du président du Cnom, élu par ses pairs, mais qui doit être réélu conseiller national (ou re-coopté) pour pouvoir continuer son mandat, et qui doit en outre être réélu président à chaque renouvellement par tiers des conseillers nationaux, ouvre à chaque fois la porte aux règlements de compte internes.
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