Adopté en première lecture par les députés, le projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, comporte une disposition-phare visant à instaurer un dispositif global d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (« le Quotidien » du 4 octobre).
Un texte nécessaire et très attendu, selon le Pr Jacques Hureau, expert honoraire près la cour d'appel de Paris, mais critiquable : « C'est une usine à gaz, avec les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation qui vont recevoir toutes les plaintes, et cela sans frais, ce qui laisse prévoir une inflation de dépôts de dossiers, indépendamment du problème de faute. »
Ces commissions, extrajudiciaires, composées d'un président magistrat (civil ou administratif), de médecins, d'assureurs et d'usagers, seront chargées d'instruire les dossiers en s'appuyant sur un corps d'experts en responsabilité médicale créé à cet effet, experts nommés pour cinq ans renouvelables. Une commission nationale, sorte d'autorité morale, veillera au bon fonctionnement du système. Un établissement public, à caractère administratif, nommé Office national d'indemnisation des accidents médicaux et affections iatrogènes, sous tutelle du ministère Guigou et financé par la Chancellerie, sera le payeur.
« C'est dire qu'on dénombre beaucoup de tuyaux, dans cette usine à gaz » aux volumes plutôt flous dans l'attente d'une dizaine de décrets en conseil d'Etat, commente le Pr Hureau.
Aujourd'hui, souligne l'expert, quelque 1 500 dossiers relatifs à la responsabilité médicale sont traités chaque année dans l'ensemble des cours et juridictions, qu'elles soient administratives ou civiles. Cela représente le quart des déclarations de sinistres annuelles faites par les médecins et les patients à leurs assureurs. « Demain, il suffira d'écrire directement à la commission régionale de précontentieux judiciaire. » Les dossiers concerneront une faute médicale ou relèveront de l'aléa thérapeutique, « c'est-à-dire d'un préjudice lié à un acte médical non fautif ». A partir de là, l'Office national devra faire une proposition, « sous l'égide de la commission régionale concernée et au vu des expertises ». « Si la faute d'un médecin est reconnue, le droit subrogatoire de l'Office fait que celui-ci attaquera l'assurance du praticien afin de se faire rembourser de ce qu'il versera à la victime. »
Dans le cas où le plaignant juge insuffisantes les indemnités proposées, il fera un procès à son médecin. Avec l'aléa médical, le patient est indemnisé systématiquement, et si l'Office s'aperçoit qu'il peut se retourner contre le médecin et son assureur, il ne manquera pas de le faire devant la justice. A l'inverse, un magistrat sera en mesure de poursuivre l'Office pour n'avoir pas suffisamment indemnisé une victime.
Au total, pour le Pr Hureau, on a affaire à « une grosse machine, très lourde en contentieux extrajudiciaires, que les assureurs eux-mêmes ne manqueront d'utiliser, et qui, par ailleurs, ouvre des portes à un contentieux judiciaire. Certes, la loi en cours de discussion au Parlement a le mérite d'exister. Son but est louable, mais il convient d'en corriger les faiblesses, d'ici à son adoption définitive ; faute de quoi ses conséquences, non encore mesurables, pourraient être considérables ».
L'exemple de la loi Badinter
L'exemple à suivre est donné par la loi Badinter de 1985, qui a retiré du contentieux judiciaire plus de 90 % des réparations des dommages corporels d'accidents de la voie publique.
L'expert juge impératif d'élaborer une « définition positive de l'aléa médical ». Ce pourrait être « un préjudice qui résulte d'un acte médical non fautif, même s'il y a un lien de causalité entre l'acte et le préjudice ». Le législateur doit fixer « un seuil d'entrée dans le système de l'aléa médical ». Il pourrait s'appuyer sur « un taux d'incapacité permanente partielle de 30 % ».
En dernier lieu, il est nécessaire de faire figurer dans la loi les infections nosocomiales. « Il est temps, dans ce domaine, que le droit positif ne s'oppose plus à l'équité (art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme) qui, elle, s'appuie sur des faits médicaux. » Actuellement, les praticiens et les hôpitaux sont « automatiquement condamnés ».
Pour autant, le Pr Jacques Hureau se félicite du projet gouvernemental parce qu'il « garde à la médecine son caractère responsable, et c'est indispensable ». « La responsabilité médicale ne sort pas du droit commun. L'usine à gaz n'est pas associée à un droit médical spécifique », insiste-t-il. « Au nom de la solidarité nationale, la prise en charge de l'aléa médical ne déstabilise pas les professions de santé. » Pour l'heure, ce sont les assurances des médecins ou des établissements de santé qui supportent l'entière charge de l'indemnisation. « Or, c'est tellement lourd, observe l'expert, qu'il n'existe plus que sept assureurs pour s'intéresser aux actes médicaux : Axa, qui s'en libère progressivement, la LLoyd, et des mutuelles, le GAM, avec la MACSF et le Sou Médical, la Médicale de France et la Société hospitalière d'assurance mutuelle. Et tous les ans, les assurés voient leurs primes augmenter de manière exponentielle pour des faits d'aléa médical. »
* Le Pr Hureau (chirurgie digestive), expert honoraire agréé par la Cour de cassation, est ancien vice-président de la Fédération nationale des compagnies d'experts judiciaires. Il suit actuellement, pour diverses juridictions réparties sur l'ensemble du territoire, 649 dossiers en responsabilité médicale.
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