LE QUOTIDIEN - Est-ce que vous vous inscrivez dans une continuité totale par rapport à l'équipe du Pr Glorion, ou bien avez-vous l'intention de marquer un changement d'esprit ou de méthode ?
Pr BERNARD HOERNI - Je pense que la personnalité de chacun entraîne quelques modifications dans la façon de procéder, certainement. Mais ce sont des détails. En ce qui concerne l'action à mener par le Conseil national de l'Ordre des médecins, la continuité va prévaloir très nettement, notamment parce qu'elle s'inscrit dans une logique qui n'a aucune raison d'être bouleversée. Ce qui ne veut pas dire qu'on va strictement suivre ce qui était en cours. Même le précédent bureau aurait été amené, dans les mois à venir, à adapter ses interventions en fonction de l'actualité (comme le « Grenelle de la santé ») et en fonction de la maturation de certains dossiers.
Que pensez-vous de ce deuxième « Grenelle de la santé » ?
Mme Guigou a largement balayé tous les problèmes qui se posent actuellement au système de santé et à la pratique médicale. Il reste à savoir comment cela se traduira en actes dans les mois à venir. Elle a annoncé qu'un certain nombre de mesures seraient probablement insérées dans les deux projets de loi qui devraient être débattus et peut-être votés à l'automne : le projet de loi de modernisation du système de santé et le projet de financement de la Sécurité sociale pour 2002. Je ne sais pas dans quelle mesure elle pourra le faire.
Peu de contentieux
Peu après vous être déclaré candidat à la présidence de l'Ordre, vous aviez dit au « Quotidien » que « les médecins ont oublié qu'ils sont tout à fait indispensables à la société d'aujourd'hui ». Sont-ils, selon vous, insuffisamment reconnus par la société, compte tenu de leurs diverses missions ?
Les médecins se laissent un petit peu impressionner par les difficultés, qui sont nombreuses. En particulier par certaines décisions de justice, comme celle de la Cour de cassation concernant les handicapés [arrêt Perruche, NDLR], qui ont été montées en épingle, mais peuvent être demain remises en question. Ou par certaines mesures qui ont pu être considérées comme du harcèlement, fort désagréable et, j'espère, fort maladroit...
A quel type de harcèlement pensez-vous ? Faites-vous référence aux caisses d'assurance-maladie ?
Je parle des harcèlements de toutes sortes : harcèlement par d'autres confrères quelquefois, par des journalistes éventuellement, par des décisions de justice, par des mesures des pouvoirs publics, pas toujours très normales d'ailleurs. Ces différentes affaires peuvent donner l'impression aux médecins qu'on s'acharne après eux et que, bientôt, ils ne pourront plus exercer la médecine. Quelques-uns, d'ailleurs, sont amenés à prendre une retraite anticipée car ils ne veulent pas subir un certain nombre de mesures qu'ils estiment désagréables.
Or il ne faut pas oublier l'essentiel, à savoir que le rôle des médecins est tout à fait inaltérable, indispensable à la société. D'ailleurs, on voit bien, quand on a des contacts personnels avec des patients ou des familles, qu'en dépit de leurs critiques à l'encontre des médecins ils ont toujours un très bon médecin sous la main.
Il y a, chaque année, quelques milliers de contentieux (qui souvent se résolvent à l'amiable assez vite) sur 400 millions d'actes médicaux. Je me demande quelle est la profession qui a une telle activité, dans des domaines aussi sensibles, qui pourrait, comme nous, faire état d'un nombre de contentieux à la fois important en valeur absolue et pourtant relativement faible.
Je souhaite surtout que les médecins ne se laissent pas impressionner par ces affaires désagréables et, dans une certaine mesure, discutables. Ils doivent se souvenir que le meilleur moyen de se mettre à l'abri de la justice, c'est de faire de la bonne médecine technique et d'entretenir de bonnes relations avec les malades.
Nous sommes d'autant plus impatients que la réforme de l'Ordre a été lancée il y a une dizaine d'années et que l'on a harcelé nos ministères de tutelle, et l'ensemble des instances en cause, pour que cela avance.
Certains redoutent que le projet de loi de modernisation du système de santé ne soit pas adopté avant les échéances électorales de 2002. Partagez-vous cette crainte ?
Je n'ai pas d'avis. J'espère surtout que cela ne sera pas, à nouveau, différé de quelques années. A titre d'exemple, le nouveau code de déontologie était prêt en 1993 lorsqu'il y a eu un changement de gouvernement. Il était prêt de nouveau à être publié en 1995, puis le gouvernement Balladur a été remplacé par le gouvernement Juppé et il a fallu attendre trois ou quatre mois supplémentaires pour reprendre les choses. Le principal retard est venu du vote des lois de bioéthique de 1994, qui ont d'ailleurs conduit à injecter de nouvelles modifications dans le code de déontologie, de façon très positive. Vous devez vous rappeler qu'il y a eu dix-huit mois de retard législatif pour la publication desdites lois...
...Et il y a déjà deux ans de retard pour leur révision.
Deux ans de retard pour le moment. Cette relative lenteur agace certains et rend d'autres impatients. Mais d'un autre côté, le retard accumulé permet d'actualiser les textes en fonction de choses qui n'auraient peut-être pas été incluses plus tôt. On est toujours à la recherche de ces progrès et de leur intégration aux murs, y compris par une législation ou une réglementation. On a quelquefois un peu de retard, quelquefois un peu d'avance aussi.
L'Ordre n'a rien contre le psychiatre du Loft
Le président du Conseil national de l'Ordre des médecins refuse de joindre sa voix à l'anathème lancé par certains de ses confrères contre le Dr Didier Destal, le psychiatre qui a participé à l'émission Loft Story (« le Quotidien » du 12 juillet).
« On a reçu le psychiatre de Loft Story, nous a déclaré le Pr Bernard Hoerni, et on a pris connaissance de son contrat avec M6 ou la société qui agissait pour M6. Je dois dire que j'avais personnellement pris sa défense parce que je voyais mal un psychiatre s'engager imprudemment dans une opération de ce genre. C'est un psychiatre hospitalier qui n'a pas intérêt à une publicité personnelle, comme cela aurait pu être éventuellement le cas. Il avait un contrat en bonne et due forme ; il a disposé de toute l'indépendance requise pour faire son travail correctement. Il est intervenu, comme on pouvait le présumer et comme je l'avais anticipé avant de le rencontrer moi-même, pour protéger des personnes instables d'une participation à Loft Story. Il a rencontré une bonne part des personnes sélectionnées et il en a écarté quelques-unes, sans naturellement la moindre rupture du secret médical. Même si parfois ensuite, des membres enfermés ou des familles ont pu raconter n'importe quoi, je crois que ce psychiatre ne s'est jamais livré à des écarts de langage qui auraient pu représenter une trahison du secret auquel il était tenu.
Oui, d'une certaine manière, il a été victime, comme il dit, du "terrorisme de certains confrères". »
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