«COMME CHEF du service d'urologie de l'hôpital East de Pudong, à Shanghai, je dispose d'un permis de séjour et d'un permis de travail permanents, explique le Pr Bernard Debré, dont la fondation, Action pour la santé, est présente sur le sol chinois depuis 2003, en partenariat avec son service de l'hôpital Cochin (Paris). C'est ce qui me permet d'être le seul médecin non chinois, à ma connaissance, à intervenir dans la province du Sichuan.» Dès le 13 mai, lendemain du tremblement de terre, la dizaine de chirurgiens chinois en formation à Cochin s'envolait pour secourir les populations sinistrées. Le Pr Debré les a suivis pour sa part le 8 juin. Avec une équipe d'une dizaine d'hospitaliers français, chirurgiens et infirmières, il séjourne jusqu'à lundi en Chine. Basé à Deyang, dans une zone située aux abords immédiats de l'épicentre du séisme, où 16 000 morts ont déjà été dénombrés, il rentre juste d'un camp médical. Et passe une journée à Shanghai, où « le Quotidien » l'a appelé, avant de regagner Deyang.
« Beaucoup de nos blessés vont mourir. »
«Toutes les structures, dispensaires et hôpitaux, ayant été anéanties sur plus d'une dizaine de kilomètres, trois cents lits ont été installés à ciel ouvert sur un stade. Évidemment, nous ne sommes plus dans la première urgence, avec descrush syndromes aigus. Mais beaucoup de nos blessés vont mourir. Mon expertise n'est pas limitée à l'urologie. Il y a des reins détruits, des pneumothorax nombreux, des fractures qui suppurent et beaucoup de pathologies associées. Nous disposons du matériel nécessaire en première intention, avec, par exemple, des bonbonnes d'oxygène en quantité, même si elles sont trimballées sur des chariots de fortune.Mais ici, c'est encore la première phase d'intervention médicale d'urgence, à proximité immédiate de l'épicentre, avec les premiers traitements de patients récemment récupérés.Ladeuxième phase consiste à les transférer vers des structures mieux outillées pour des interventions déjà sophistiquées; le troisième stade, c'est leur évacuation vers des hôpitaux en dur, où les conditions de prise en charge ont peu à envier à l'Occident.»
Les Chinois font face avec «une parfaite maîtrise de la situation», estime le Pr Debré, qui a connu d'autres séismes majeurs, en Afghanistan et en Algérie. «Nulle part je n'ai vu une telle efficacité pour organiser les secours médicaux et logistiques. Deux facteurs l'expliquent probablement: le fait que le régime fonctionne sur des structures militaires et communistes à la fois est un élément facilitateur indéniable. S'y ajoute l'extraordinaire solidarité que témoigne la population, accourue de toutes les provinces. On voit par exemple affluer des berlines rutilantes venues de Shanghai avec des dizaines de caisses chargées de matériels divers. Toute la Chine se mobilise en un mouvement très émouvant.»
Aucune nécessité de faire appel à l'aide internationale.
«Dans ces conditions, il n'y a aucune nécessité, poursuit-il, de faire appel à des intervenants de l'étranger. Pour le matériel, non plus, les Chinois n'ont pas besoin, à l'heure actuelle, d'une aide internationale. Ce qu'ils font aujourd'hui en réunissant leurs propres forces est admirable.»
La situation médicale reste cependant dramatique. «Le bilan officiel de 85000 morts sera très certainement dépassé, pronostique le Pr Debré. On ne peut qu'être inquiet devant les risques épidémiques qui menacent à travers toute la province du Sichuan, et même au-delà, dans le Ngawa.Et, bien sûr, le risque de répliques majeures occasionnant de nouvelles victimes hante les esprits, sans parler des inondations consécutives à l'ébranlement des barrages.»
Outre ses interventions auprès des victimes, l'ancien ministre (de la Coopération) et toujours député de Paris a rencontré à Shanghai les responsables du ministère de la Santé. «Je les connais tous très bien grâce à mon travail à l'hôpital de Pudong, et c'est en tant que soignant que j'ai participé à des réunions ministérielles consacrées à la fourniture d'alimentation, à la prévention des épidémies par antibiothérapie, au rétablissement de l'accessibilité des zones complètement détruites.»
Le Pr Debré affirme qu'il n'est porteur d'aucun message officiel en provenance de la présidence ou du Parlement, et s'en tient à une intervention strictement médicale et humanitaire. Lors des réunions de travail auxquelles il a participé, il a constaté que les agences de voyages continuaient d'observer la consigne officielle de boycott de la destination française, quoi qu'on puisse dire sur le réchauffement supposé des relations entre les deux gouvernements, la solidarité après le séisme venant cicatriser les dissensions autour de la flamme olympique. «Mais cela ne m'empêche pas d'intervenir dans les discussions actuelles sur le choix des sites de reconstruction de dispensaires et des hôpitaux.»
Hospitalo-universitaire, député et humanitaire
Le Pr Bernard Debré, 63 ans, mène de front deux carrières : le petit-fils du célèbre pédiatre Robert Debré dirige le service d'urologie de l'hôpital Cochin depuis 1990 ; c'est dans son service que le président François Mitterrand a été opéré de la prostate.
Élu député d'Indre-et-Loire en 1986 (RPR), il a participé au gouvernement Balladur comme ministre de la Coopération (1994-1995). Élu et réélu ensuite député de Paris (15e circonscription), il siège au groupe UMP.
Il a été nommé par Nicolas Sarkozy, en mars dernier, au CCNE (Comité consultatif national d'éthique), où il avait déjà siégé entre 1986 et 1988, sur proposition de Jacques Chirac.
Au sein de la fondation Action pour la santé, il intervient dans plusieurs pays d'Asie, au Cambodge et en Chine notamment. C'est ainsi qu'il dirige avec le Pr Sun Yinghao le service d'urologie de l'hôpital East de Pudong, à Shanghai, le plus grand service d'urologie de la région (57 lits), en concurrence avec ceux de Hong Kong et Singapour.
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