«LE CONCEPT moderne de la médecine de catastrophe est né en France grâce aux travaux du PrPierre Huguenard et du général Notto dans les années 1970. La théorisation de l’organisation des secours médicaux en présence d’événements graves a ainsi été directement transposée de la médecine de guerre ou “médecine de l’avant”», explique au « Quotidien » le Pr Frédéric Adnet (Samu 93, département d’anesthésie-réanimation, hôpital Avicenne, Bobigny). Les grands principes de la médecine de catastrophe s’appuient sur les notions de rassemblement des victimes, de leur catégorisation en fonction du degré d’urgence et d’une évacuation programmée vers des hôpitaux éloignés du site après régulation médicale. La notion de poste médical avancé (PMA) constitue la pierre angulaire de ces dispositifs, passage obligé de toutes les victimes avant leur évacuation.
Le PMA assure quatre missions : le triage des victimes, l’élaboration pour chacune d’une fiche médicale de l’avant (état civil, présentation clinique à l’entrée du PMA, diagnostic, priorités de traitement et d’évacuation), les soins aux victimes les plus graves et l’organisation des évacuations en fonction des priorités et des dispositions hospitalières (notion de grande et petite noria).
L’organisation et la constitution de ce PMA en situation de catastrophe doit représenter la première mission du premier médecin qui arrive sur place. Son rôle n’est pas de prendre en charge des victimes mais d’établir la zone géographique correspondant au PMA et de préciser la division des tâches et la spécialisation des personnes présentes.
Perte de temps, perte de chance ?
L’inconvénient potentiel de ce type de dispositif est le temps que prend son élaboration. «Actuellement, les principaux plans de gestion des catastrophes s’inspirent de ce schéma général et ne sont pas adaptés au type de catastrophe (accident catastrophique à effet limité impliquant moins d’une centaine de victimes ou catastrophe vraie) ni à la localisation de l’événement (milieu urbain ou rural) », poursuit le Pr Adnet. Or la mise en place d’un PMA nécessite un temps assez long qui retarde, de fait, le transport des victimes vers des centres spécialisés et adaptés. Et il semblerait – bien que cette donnée porte encore à controverses – que le délai de survenue entre l’accident et l’arrivée à l’hôpital puisse représenter un déterminant pronostique important.
Afin de préciser si la durée de mise en place d’un PMA constitue une perte de chance pour les victimes les plus gravement atteintes, l’équipe du Pr Adnet a mis en place une étude rétrospective descriptive sur l’organisation des secours médicaux lors d’accidents catastrophiques à effet limité (Acel) survenus en zone urbanisée (Paris et sa petite couronne) entre 1988 et 2000. Trente-huit événements impliquant entre 10 et 100 victimes ont été analysés : 3 accidents de la circulation, 13 feux d’habitation, 3 intoxications collectives au CO, 10 explosions ou attentats à l’explosif, 2 effondrements d’habitation, 2 chutes d’avion et 5 accidents de métro ou de train. Le nombre médian de victimes était de 42 avec des extrêmes allant de 8 à 424. En moyenne, 8 ambulances médicalisées (de 2 à 23) ont été mobilisées pour prendre en charge les victimes et de 2 à 37 médecins urgentistes étaient présents sur les lieux. La majorité des victimes recensées appartenaient à la catégorie des urgences relatives (de 8 à 37 par événement). Un total de 159 urgences absolues (UA) a été signalé dans les bilans initiaux mais l’analyse rétrospective des dossiers n’a permis de conclure à l’existence d’une urgence vraie (UA vraie) que pour 101 victimes. Globalement, 5 % (de 3 à 13 %) des blessés seulement pouvaient être considérés comme des urgences vraies : patients blastés (18 %), polytraumatisés (37 %), brûlés graves (22 %) et comas traumatiques (24 %). Le délai moyen de déclenchement du plan rouge était de 17 +/– 14 minutes après l’événement. Les médianes de première et de dernière évacuation des UA étaient respectivement de 79 et de 135 minutes. Dans 90 % des cas, toutes les UA avaient été évacuées dans un délai inférieur à 188 minutes après le début de l’événement. «Nous avons aussi analysé le rapport entre le nombre d’ambulances médicalisées (AM) présentes sur les lieux de la catastrophe et le nombre d’urgences absolues corrigées après analyse des dossiers médicaux. En moyenne, 15minutes après l’événement, sur 41% des sites, le nombre d’AM était plus important que celui des UA vraies, ce pourcentage atteint 92% à 30minutes et 100% à 60minutes, analyse le Pr Adnet. Le surdimensionnement des secours médicalisés contraste donc avec les délais d’évacuation relativement longs des patients traumatisés.»
Le médecin transporteur comme acteur principal.
L’équipe du Samu de Bobigny a émis en 2003, à la suite de cette étude, une proposition particulièrement novatrice de prise en charge des Acel en situation urbaine. «Le point central de notre proposition est l’abandon de la notion de regroupement de toutes les victimes en un seul lieu et donc de la notion classique de PMA. Nous introduisons donc le médecin transporteur comme acteur principal pour la reconnaissance, la prise en charge et l’évacuation des UA. Seules les victimes les plus graves bénéficieraient d’un ramassage médicalisé alors que le ramassage des urgences relatives reviendrait aux secouristes et aux sapeurs-pompiers. Le deuxième intervenant essentiel est le médecin régulateur sur site, qui assume l’interface entre les disponibilités hospitalières et les besoins évalués sur place. Dans ces conditions, un PMA virtuel pourrait être mis en place au sein des ambulances médicalisées présentes sur le site (point de concentration des moyens médicaux, Pcmm) et la fonction de médecin régulateur se réorienterait vers la gestion de l’interface entre les disponibilités hospitalières transmises par le centre de réception et de régulation des appels (Crra) du Samu territorialement compétent et l’ensemble des équipes médicales présentes sur le site. La fiche médicale de l’avant classique serait abandonnée au profit d’un étiquetage à l’envers par la distribution aux soignants d’une fiche médicale de régulation de crise contenant des informations relatives à la localisation de l’hôpital et les numéros des lignes téléphoniques directes du service ou de la cellule de crise hospitalière. Ainsi, le patient serait immédiatement identifié non par son identité réelle ou sa pathologie mais par son vecteur d’évacuation et par sa destination. Ce principe de fiches permettrait de diminuer significativement les temps de régulation, d’identification et d’évacuation des malades graves.»
Le principal avantage de cette orientation serait de diminuer la charge de travail organisationnelle, sans altérer la qualité des soins sur place, en donnant beaucoup plus de poids et d’importance aux équipes médicales sur le terrain.
Cette conception ne s’applique néanmoins qu’aux zones à forte densité de secours médicaux et aux catastrophes de gravité intermédiaires qui laissent intactes les structures hospitalières. Les derniers événements majeurs survenus dans Paris et sa petite couronne répondent à ce critère. A l’inverse, la catastrophe du stade de Furiani ou celle liée à l’explosion de l’usine AZF à Toulouse sont d’une autre nature et ne relèvent probablement pas de ce type d’organisation.
Les catastrophes en zone sururbanisée doivent, elles aussi, être prises en charge de façon distincte. «Les premières leçons de la catastrophe du 11septembre 2001 à New York, survenue dans un quartier où la densité de population était de 27000habitants/km2, mettent en évidence la relative inadéquation de la création d’un PMA au cours d’une catastrophe d’une telle ampleur. Le temps nécessaire à créer une structure extrahospitalière pouvant gérer un nombre important de victimes avait été relativement long et lorsque cette structure a été opérationnelle, il n’y avait pratiquement plus de victimes à gérer alors même que ce PMA avait mobilisé une grande partie des secours médicaux disponibles», explique le Pr Adnet. Enfin, dernier cas de figure, lorsque des attentats surviennent de façon simultanée, comme c’était le cas à Madrid en 2005, les plans de secours se sont révélés inefficaces car la mise en place de plusieurs PMA dans un délai court a été impossible. Pour le Pr Adnet, «la médecine de catastrophe constitue une spécialité médicale dynamique qui doit pouvoir évoluer et ne pas s’enfermer dans des schémas rigides. Une démarche scientifique fondée sur les retours d’expériences et une analyse rigoureuse des exercices de simulation devraient faire progresser cette spécialité passionnante.»
« Organisation des secours médicaux lors des catastrophes à effets limités en milieu urbain », F. Adnet, J.-P. Masistre, C. Lapandry, M. Cupa et F. Lapostolle. Annales françaises d’anesthésie réanimation 22 ; (2003) : 5-11.
« Médecine de catastrophe : nécessité d’une réactualisation scientifique », F. Adnet, F. Lapostolle. Annales françaises d’anesthésie et de réanimation 24 ; (2005) : 591-592.
Une préparation en un an
Plusieurs universités – Paris, Lyon, Marseille, Lille ou Nancy, entre autres – proposent un enseignement de la médecine de catastrophe, sous la forme d’une capacité d’une durée de un an. Objectif de la formation : préparer les médecins de toutes les disciplines à intervenir sur les lieux de sinistres ou de catastrophes naturelles, faits de guerre ou accidents qui entraînent victimes et dégâts en nombre, pour participer aux secours et aux soins médico-chirurgicaux dans le cadre des plans de secours.
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