LES SCIENCES ont toujours été liées aux affaires militaires. Les scientifiques peuvent-ils contrôler les applications de leurs travaux et empêcher les dérives ? Le « scientifique citoyen » peut-il fournir et le poison et son antidote, mesurer les risques tout en apportant des remèdes ? Depuis une dizaine d'années, intellectuels et scientifiques engagés militent pour la paix et pour une science « qui ne soit pas complice de la guerre ». « Il s'agit avant tout de renoncer à participer à des travaux de mise au point de produits dangereux, précise Armand Lattes, président de la Société française de chimie. Mais il s'agit aussi de faire attention lorsqu'on veut tirer la sonnette d'alarme. Il n'est pas toujours évident d'alerter les autorités et la communauté scientifique sur la dangerosité d'un produit sans pour autant attirer l'attention de gens mal attentionnés comme les groupes terroristes. Nous restons cependant totalement libres de ce que nous publions. Et c'est à nous de décider du risque que nous prenons en divulguant certains résultats. »
La position du scientifique peut être parfois ambivalente, comme le rappelle Armand Lattes en citant l'exemple du chimiste allemand Fritz Haber, inventeur du procédé Haber-Bosch (fabrication de l'ammoniac par catalyse de l'azote et de l'hydrogène sous haute pression), employé pour l'engrais. Malgré ses bienfaitrices contributions à la chimie, ce n'est qu'avec réticence que le comité Nobel lui décerna le prix Nobel de chimie en 1918 : directeur de l'Institut Kaiser Wilhelm de chimie-physique et fervent patriote, c'est en effet lui qui, durant la Première Guerre mondiale, dirige la mise au point et la fabrication de divers gaz de combat, le gaz moutarde et le zyklon B, qui sera utilisé par les nazis dans les chambres à gaz.
La guerre peut inversement guider la science vers le chemin du progrès. En Europe occupée, le manque de produits de base indispensables à l'alimentation humaine mènent les chimistes vers des produits de synthèse (ersatz de sucres, de graisses ou de levures), ces mêmes produits qui ont influencé le développement du secteur agroalimentaire. De même, l'expérience de la Première Guerre mondiale a permis des avancées considérables en médecine grâce aux nouveaux médicaments, aux agents anti-infectieux, à la transfusion sanguine et aux nouvelles techniques d'anesthésie.
Recherches antibioterrorisme.
L'armée encourage également la recherche contre les armes chimiques : « Il existe à la direction générale de l'Armement (DGA) des systèmes de bourses de doctorat pour promouvoir la recherche civile sur ces thématiques, explique Armand Lattes. Le ministère de la Recherche soutient lui aussi ces projets. Les deux volets essentiels concernent les systèmes de détection et les méthodes de décontamination des sites pollués mais aussi des personnes éventuellement contaminées. »
En janvier 2004, un groupement de recherche sur les facteurs de virulence et en biodéfense (GDR) a été créé sous l'égide du département des sciences de la vie du Cnrs, avec à sa tête le biologiste Jean-Pierre Gorvel, directeur de l'équipe Biologie cellulaire et immunologie des interactions hôte-bactéries pathogènes au centre d'immunologie de Marseille-Luminy. Ce GDR réunit près de trois cents chercheurs spécialistes des agents pathogène ainsi que trois sociétés de biotechnologie : Select Biotics, spécialisé dans la découverte de nouveaux antibiotiques, Idenix, qui se consacre à la pharmacologie antivirale et antibactérienne, et Antidote Pharma, qui développe des anticorps recombinants et des vaccins thérapeutiques. « Notre but est de couvrir tous les domaines impliqués dans une crise bioterroriste : de la détection d'un pathogène en passant par sa caractérisation jusqu'aux premiers essais d'agents thérapeutiques », explique Jean-Pierre Gorvel.
Synthèse destinée principalement aux médias, le numéro Thema est consultable sur www.cnrs.fr/presse
La guerre chimique remonte à l'Antiquité
- En 428, lors de la guerre du Péloponnèse : les villes assiégées sont asphyxiées par la combustion de poix et de soufre.
- En 673, invention du feu grégeois que les Byzantins utiliseront contre les Turcs pendant cinq siècles.
- 1457 : première description de la bombe lacrymogène.
- XVIe siècle : apparition des bombes à l'arsenic.
- XVIIe siècle : utilisation de « pots puants » lors de la guerre de Trente Ans.
- XVIIIe siècle : le révolutionnaire Antoine Santerre propose d'épandre des pluies de vitriol sur la Vendée insurgée. A la fin du siècle, l'acide cyanhydrique est isolé et un pharmacien allemand envisage de l'utiliser comme une arme.
- XIXe siècle, début de la chimie moderne (chlore, phosgène, ypérite, gaz moutarde).
- Première Guerre mondiale : la guerre chimique moderne se déploie à grande échelle. On estime que pendant la guerre de 1914-1918 plus de 112 000 tonnes de produits chimiques ont été utilisées de part et d'autre, causant la mort de près de 500 000 hommes sur le front occidental. En France, 400 tonnes d'ypérite de la guerre de 1914-1918 doivent encore être détruites d'ici à 2007.<\!p>
- Seconde Guerre mondiale : à l'exception du front en Extrême-Orient, aucune arme chimique n'est signalée. Des gaz toxiques sont utilisés par les Allemands dans les camps d'extermination.
- 1964-1973 : au Vietnam, les Américains utilisent l'agent orange, qui contient de la dioxine, comme produit exfoliant. Il fera des centaines de milliers de victimes.
- 1987-1988 : l'Irak lance des attaques chimiques contre les populations kurdes.
- 1993 : signature de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques par 143 Etats, dont la France.
- 1994-1995 : au Japon, attentats au gaz sarin par la secte Aum.
- 2004 : la Libye dévoile son arsenal chimique et s'engage à le détruire.
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