En 1907
L'histoire de la maladie de Whipple (MW) est exemplaire de la continuité entre la médecine anatomoclinique du début du XXe siècle et les progrès les plus récents de la biologie humaine.
Le premier cas fut décrit par George Hoyt Whipple (1878-1976) en 1907 chez un homme de 36 ans : arthrites inaugurales, amaigrissement, toux chronique, fièvre, diarrhée, hypotension en étaient les signes installés en cinq ans. L'autopsie révéla une infiltration de la muqueuse intestinale, du mésentère, de la valvule aortique et des poumons par des cellules spumeuses ;
G.-H. Whipple signala des micro-organismes argentaffines dans des vacuoles de macrophages, mais n'établit pas de lien avec un éventuel agent causal.
Mécanismes et épidémiologie.
La MW, apparemment fort rare (environ 1 100 cas rapportés jusqu'en 2001), est d'origine infectieuse. Son agent est Tropheryma whipplei, bactérie Gram + caractérisée pour la première fois par PCR en 1991, apparentée aux actinomycètes, cultivée en 2000 et dont le génome complet a été séquencé en 2002. T. whipplei, très ubiquitaire comme la plupart des actinomycètes et à prédominance intracellulaire, est à croissance très lente. Il habite notamment les sols, ce qui peut expliquer la prévalence accrue de la MW chez les travailleurs agricoles. Sa porte d'entrée est notamment digestive et sa diffusion se fait à partir de bactéries libres du chorion intestinal.
Pourquoi donc cette maladie, dont l'agent infectieux est ubiquitaire, est-elle si rare ? Pour répondre à ce paradoxe, il faut faire appel à d'autres mécanismes que T. whipplei, notamment à un déficit immunitaire, subtil et rare, de la fonction macrophagique et monocytaire : la dégradation de T. whipplei est diminuée, voire bloquée, mettant en cause une anomalie de l'activation et de l'interaction macrophage-cellule T relevant peut-être elle-même d'un déficit primitif en interleukine 12.
Clinique
La MW frappe surtout des hommes d'Europe occidentale et d'ethnie blanche, de 30 à 60 ans. Ses lésions anatomiques, systémiques peuvent notamment intéresser tube digestif, os et articulations, poumons et cœur, cerveau et méninges, ganglions périphériques et profonds.
Ses manifestations cliniques sont, par ordre de fréquence décroissante, les suivantes : amaigrissement (80-90 % des cas) ; diarrhée chronique (70-85 %) avec signes de malabsorption deux fois sur trois ; polyarthralgies périphériques (65-90 %), inaugurales chez
deux malades sur trois et précédant alors le diagnostic de huit ans en moyenne, symétriques, migratrices, non érosives et séronégatives ; douleurs abdominales (60 %) ; adénopathies périphériques (60 %) et/ou profondes (abdominales, rétro-péritonéales) ; pigmentation cutanée
(40-60 %) ; fièvre prolongée (40 %), dont la décapitation rapide mais transitoire (comme celle des signes articulaires) par une antibiothérapie intercurrente est a posteriori évocatrice du diagnostic ; signes cardio-vasculaires (35-65 %), notamment souffles cardiaques (tableau possible d'endocardite à hémocultures négatives) ; toux chronique sèche (35-50 %) ; œdèmes périphériques (30 %) ; signes neurologiques et/ou psychiatriques (20-30 %) notamment troubles de la mémoire, de la personnalité, voire pseudo-démence, ataxie, ophtalmoplégie externe, myorythmie ou myoclonies oculo-masticatoires ou faciales jugées très évocatrices ; masse abdominale (20 %), par volumineuses adénopathies profondes ; signes oculaires (5-10 %), à type d'uvéite ou de rétinite.
Biologiquement, anémie hypochrome (75-90 % des cas), accélération de la VS, hypocholestérolémie, élévation de la CRP (C Reactive Protein), hypoalbuminémie sont très fréquentes.
Diagnostic
Il repose sur les biopsies perendoscopiques du grêle proximal, vu la grande fréquence de l'atteinte anatomique intestinale (90-95 % des cas) même en cas de présentation extradigestive sans symptômes intestinaux : l'infiltration du chorion par des macrophages spumeux PAS + (contenant des bactéries à divers stades de dégradation incomplète) associée à des dilatations lymphatiques et des bactéries libres extracellulaires, est une image caractéristique en microscopie optique et électronique. L'intérêt de la PCR de T. whipplei (technique très prometteuse mais qui n'est pas encore de pratique courante) sur de telles lésions intestinales n'est que confirmatif ; il serait plus grand en cas de doute sur des lésions intestinales de pseudo-Whipple, dues au complexe Mycobacterium avium-intracellulare et surtout observées au cours du sida avant la trithérapie. La PCR de T. whipplei peut être beaucoup plus intéressante sur les tissus PAS + des rares formes extradigestives (articulaires, cardiaques, cérébrales ou oculaires) de MW sans lésions intestinales concomitantes ; sa spécificité diagnostique, discutée dans la salive, les selles et le sang, est certainement bonne dans le liquide céphalo-rachidien, en cas de signes neurologiques ou neuro-psychiatriques protéiformes. La culture du germe reste du domaine exclusif de la recherche. Dans le futur, la mise à disposition d'un diagnostic sérologique rapide de l'infection à T. whipplei pourrait révéler une fréquence singulièrement plus grande de la MW, notamment derrière des tableaux digestifs, articulaires, cardiaques, oculaires ou neurologiques bâtards ou protéiformes.
Traitement
C'est une antibiothérapie prolongée à bonne pénétration méningo-encéphalique, vu la gravité et la grande fréquence des lésions cérébrales asymptomatiques (jusqu'à 90 % des cas de MW selon des données autopsiques), notamment lors des rechutes. Le sulfaméthoxazole-triméthoprime est le meilleur choix, pour une durée d'un an : il réduit significativement la fréquence des rechutes, qui était de 24 % avec la tétracycline, la pénicilline et/ou la streptomycine. La réponse clinique, spectaculaire, se fait en quelques jours pour la fièvre, les signes articulaires et le confort digestif. En cas d'intolérance ou d'inefficacité du sulfamide, le céfixime ou la ceftriaxone trouvent leur place. En cas de signes neurologiques, initiaux ou lors d'une rechute, une antibiothérapie parentérale de quatorze jours à pénétration méningo-encéphalique s'impose, relayée par le sulfaméthoxazole-triméthoprime pour un an. La surveillance et la décision, après un an, d'arrêter le traitement, se fondent sur les biopsies intestinales (absence de bactéries libres dans le chorion, les macrophages PAS + pouvant persister, quant à eux, plusieurs années) et sur la négativité de la PCR dans ces biopsies ou dans le LCR (liquide céphalo-rachidien) en cas de signes neurologiques initiaux. L'étude de la sensibilité du germe aux antibiotiques, notamment pour les formes à rechute, pourrait voir le jour dans un proche avenir, grâce aux progrès décisifs dans la culture du germe apportés par une équipe française de recherche (D. Raoult, M.-L. Birg, B. La Scola et al. Cultivation of the bacillus of Whipple's disease. « N Engl J Med », 2000 ; 342 : 620-625).
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