Rappel physiopathologique
La leucémie myéloïde chronique (LMC) entre dans le cadre des syndromes myéloprolifératifs (SMP), troubles qui se caractérisent par une surproduction des cellules de la lignée myéloïde (granulocytes, globules rouges et plaquettes). Dans la LMC, l'anomalie porte essentiellement sur la lignée des granulocytes, contrairement à d'autres SMP qui affectent également la lignée des globules rouges (maladie de Vaquez) ou celle des plaquettes (thrombocytémie essentielle). La physiopathologie de l'affection réside dans l'atteinte de la cellule souche hématopoïétique qui est à l'origine de l'ensemble des cellules myéloïdes, même si, au final, seule l'expansion de la lignée granulocytaire est observée.
L'élément fondamental de la LMC est la présence du chromosome Philadelphie au sein des cellules souches malades. Ce chromosome particulier, également appelé der22, est un chromosome 22 plus court que la normale. Il est le résultat d'une translocation réciproque intervenue entre les chromosomes 9 et 22, qui entraîne la fusion de deux gènes, bcr et abl (abelson), au sein du chromosome 22. Le principal acteur de la maladie est abl, dont l'activité est dérégulée par cette fusion avec bcr. Ce point est important à souligner, car abl code pour une tyrosine kinase. Or c'est cette tyrosine kinase qui est la cible du traitement actuel de la LMC.
Cette tyrosine kinase, qui exerce normalement une activité de régulation dans le noyau, se trouve « délocalisée » dans le cytoplasme, où elle désorganise la machinerie cellulaire, ce qui conduit au phénotype de la maladie et induit l'expansion des cellules souches malades.
Il n'existe pas de prédisposition génétique constitutionnelle connue : les cas familiaux de LMC sont exceptionnels. Il n'y a pas non plus de facteur d'exposition bien documenté. De fait, le seul facteur favorisant est représenté par l'âge, puisque la fréquence de la LMC augmente avec l'avancée en âge, le pic de fréquence se situant entre 55 et 65 ans.
Signes d'appel
Les signes cliniques de la LMC sont pauvres : chez près de la moitié des patients, la maladie est de découverte fortuite, à l'occasion d'un bilan sanguin effectué pour un tout autre motif.
Lorsque des signes cliniques sont présents, ils découlent essentiellement de l'existence d'une splénomégalie et sont peu spécifiques : troubles digestifs minimes, pesanteur et/ou douleurs abdominales, dyspepsie liée à la compression du tractus digestif, etc. Le plus souvent, c'est seulement à l'examen de l'abdomen que l'on découvre la grosse rate.
Beaucoup plus rarement, le patient présente une altération de l'état général, avec asthénie, fièvre et sueurs. Mais l'apparition d'un tel tableau a généralement été précédée par une longue période durant laquelle les signes et les symptômes de la maladie ont été méconnus ou négligés, le patient venant consulter alors que sa LMC est déjà en phase avancée.
Diagnostic positif
La maladie est déjà fortement suspectée au vu des données de la numération formule sanguine. Il existe une importante hyperleucocytose, pouvant atteindre entre 15 000 et 150 000 leucocytes/mm3, alors que le patient est apyrétique et ne présente que des signes extrêmement frustes. Ce décalage entre la clinique et la biologie doit alerter.
Le compte rendu du laboratoire d'analyses fait, en outre, état de l'existence d'une myélémie, ce qui signifie que le sang circulant contient non seulement des polynucléaires neutrophiles, mais aussi des promyélocytes, des myélocytes et des métamyélocytes, c'est-à-dire des cellules de la moelle osseuse à différents stades de maturation (ce qui les différencie des blastes, qui sont des cellules immatures bloquées à un stade indifférencié). Tous les laboratoires de ville sont en mesure de dépister cette myélémie.
Un autre élément d'orientation important est l'existence d'une basophilie. En effet, les affections qui induisent une élévation du taux de polynucléaires basophiles sont peu nombreuses, de sorte que la présence conjointe d'une myélémie et d'une basophilie doit immédiatement attirer l'attention. Une éosinophilie peut également être présente, car toute la lignée granuleuse est augmentée.
En règle générale, le taux d'hémoglobine est normal ; il peut exister une légère anémie par hypersplénisme lorsque la rate est très grosse. Assez souvent, on note une discrète thrombocytose.
Dès lors qu'il n'existe aucun élément orientant vers une cause secondaire telle qu'une infection, une corticothérapie, l'administration de facteurs de croissance hématopoïétiques (de plus en plus utilisés en complément des chimiothérapies), le tableau associant une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et une myélémie chez un patient dont l'état général est conservé doit d'emblée évoquer un SMP et conduire à pratiquer des examens spécialisés.
Le diagnostic de certitude repose, en effet, sur la mise en évidence du chromosome Philadelphie. Le plus souvent, les patients sont adressés en consultation d'hématologie en raison des anomalies de la NFS. Un myélogramme est alors effectué, ce qui permet de constater que la moelle est riche, mais ne présente pas de blastes ni d'aspect en faveur d'un blocage de l'hématopoïèse ; cela élimine l'éventualité d'une leucémie aiguë.
Le bilan est complété par un examen cytogénétique destiné à analyser l'aspect du caryotype médullaire. On met ainsi en évidence le chromosome Philadelphie et la configuration typique de la translocation t(9;22). Cet examen diagnostique est systématiquement couplé à la caractérisation et à la quantification du transcrit de fusion BCR-ABL ; il est, en effet, important de connaître la « charge » de départ pour pouvoir ultérieurement suivre l'effet du traitement institué (de la même manière que l'on surveille la charge virale chez un patient traité pour une infection par le VIH).
A noter que la mise en évidence du transcrit BCR-ABL par PCR (qui objective la fusion entre bcr et abl) s'effectue sur un prélèvement sanguin et est donc facile à réaliser. De plus en plus de laboratoires privés sont aujourd'hui capables d'effectuer cette analyse.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic de LMC peut poser problème chez les patients ne présentant pas le tableau d'hyperleucocytose typique : la NFS révèle seulement une importante thrombocytose, la leucocytose étant minime, voire absente.
Une fois éliminées les possibles causes secondaires d'élévation des plaquettes (inflammation, carence martiale…), le diagnostic différentiel se pose avec la thrombocytémie essentielle, un autre SMP. Cette éventualité est éliminée par la mise en évidence du transcrit BCR-ABL par PCR, qui signe la LMC. Ce diagnostic différentiel revêt une grande importance, car, s'il existe aujourd'hui un traitement spécifique de la LMC, il n'en va pas de même pour la thrombocytémie essentielle.
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