EN FRANCE, plus de 4 millions de personnes sont traitées par un antiagrégant plaquettaire (AAP) au long cours en monothérapie. La place de la bithérapie dans la prise en charge de la maladie coronaire s’est récemment renforcée avec la démonstration de la supériorité de l’association aspirine-clopidogrel sur l’aspirine seule dans les syndromes coronaires aigus ou l’angioplastie coronaire. L’explosion de l’utilisation des endoprothèses pharmacoactives (plus de 60 000 ont été posées en 2005) favorise également l’utilisation d’une bithérapie au long cours.
L’arrêt d’une monothérapie expose probablement au même risque que l’arrêt complet d’une bithérapie, mais pas au même risque que l’arrêt d’un seul des deux médicaments chez un patient prenant une bithérapie. Il existe un lien temporel certain et un lien de causalité très probable entre l’arrêt d’une monothérapie et la survenue de complications thrombotiques coronaires. En moyenne, 10 % des accidents artériels aigus sont en rapport avec l’interruption des AAP : ils surviennent dans un délai moyen de 11 jours après l’arrêt de l’aspirine, correspondant à la durée de vie des plaquettes et au recouvrement de la fonction plaquettaire. Les accidents coronariens sont particulièrement graves, puisque le risque de décès est multiplié par deux.
Lorsqu’une intervention chirurgicale est effectuée moins d’un mois après une revascularisation coronaire par angioplastie avec pose d’endoprothèse, l’arrêt temporaire d’un ou des deux AAP est associé à un risque de décès par thrombose de stent de 25 %. Il est donc à proscrire formellement. Un délai minimal de six semaines est raisonnable afin de limiter ce genre de complication. Mais, à distance, plus d’un an après la pose d’une endoprothèse, l’arrêt d’une monothérapie par aspirine expose au risque de thrombose tardive de stent nu. Le risque de thrombose est plus prolongé avec les prothèses actives qu’avec les stents nus, en raison du retard du recouvrement de la prothèse par l’endothélium. Le maintien au long cours d’une bithérapie AAP est donc nécessaire. En outre, on sait maintenant que l’arrêt prématuré des AAP exacerbe considérablement le risque de thrombose d’un stent actif (quel que soit le délai entre la pose et l’arrêt) et que le mauvais suivi du traitement par clopidogrel dans les premiers mois après la mise en place d’une endoprothèse active expose à une augmentation (par facteur 7) de la mortalité. L’enjeu est de taille puisque la mortalité de la thrombose aiguë de stent est de 50 %, soit environ 1 000 décès potentiels annuels en France.
Le risque hémorragique associé à la poursuite d’un AAP en monothérapie est très variable (de 0 % pour les interventions cutanées à 75 % pour la neurochirurgie ou la chirurgie urologique endoscopique). On considère qu’il est augmenté de 50 % en moyenne par rapport aux interventions chirurgicales sans AAP. Mais la sévérité et la mise en jeu du pronostic vital ne sont pas affectées par le maintien des AAP, sauf pour la neurochirurgie et la chirurgie par voie urologique endoscopique. En pratique, de nombreuses actions peuvent être envisagées pour apporter des solutions.
Promouvoir des études de retrait spécifiquement dédiées à cette question, comme l’essai randomisé Stratagem (stratégies de gestion périopératoire des traitements antiplaquettaires en chirurgie non coronaire) qui va comparer une stratégie de maintien à l’arrêt des APP dans le cadre de la chirurgie non coronaire et à l’exclusion des endoprothèses actives.
Respecter les recommandations ou avis d’experts (www.sfar.org ; www.sfed.org ; www.societechirbuc.com ; www.splf.org).
Evaluer nos pratiques, mais aussi le rapport bénéfice/risque du traitement antiagrégant : un patient à très haut risque ischémique étant souvent à haut risque hémorragique.
Eduquer nos patients : une carte patient de liaison, spécifiquement dédiée au traitement AAP, vient d’être créée et parrainée par une vingtaine de sociétés savantes.
Ne pas interrompre de façon rituelle le traitement AAP. La substitution doit rester exceptionnelle. Il n’existe aucune donnée scientifique ayant évalué l’intérêt des traitements de substitution. De plus, une stratégie de substitution favorise un arrêt prolongé en amont de l’intervention et retarde la reprise des AAP dans la période postopératoire. Elle allonge donc considérablement la période de vulnérabilité pendant laquelle les patients ne sont plus protégés.
Evaluer le risque hémorragique. Le plus souvent, les situations sont assez simples à gérer car la plupart des interventions chirurgicales ont un faible risque hémorragique. Dans les autres cas, le cardiologue se laisse le temps de la réflexion. Cependant, en cas de situation exceptionnelle, parce que la chirurgie est à haut risque hémorragique, l’arrêt est justifié car le pronostic vital est engagé. Le traitement est alors stoppé temporairement, quatre ou cinq jours avant l’intervention et repris le plus rapidement possible, le jour même ou le lendemain. Il existe alors un risque potentiel non négligeable d’accident thrombotique.
D’après un entretien avec le Dr Jean-Philippe Collet, service de cardiologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
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