LE TEMPS DE LA MEDECINE
«A l'heure actuelle, une consultation débute par un entretien durant lequel le malade raconte son histoire, la raison de sa venue, son passé, puis elle se poursuit par un examen clinique qui commence par l'observation des signes et se continue par un examen physique plus ou moins approfondi. Elle se prolonge souvent par des examens radiographiques ou des dosages biologiques et parfois par une consultation spécialisée. Cette chronologie résume exactement l'évolution historique telle que nous venons de la voir, comme si le cabinet du médecin était un monde en miniature, sa consultation, un résumé de deux mille ans d'histoire.» C'est ainsi que le Dr Jean-François Hutin apporte la conclusion du livre qu'il a consacré à «l'examen clinique, à travers l'histoire». «Certains semblent pourtant avoir renoncé à cette approche chronologique de la médecine, pour une vision restrictive, technique et spécialisée qui aurait fait naître la médecine avec la thérapeutique et avec la technologie», nuance-t-il.
Pathologie du dépistage.
«Si la pratique de la clinique telle que nos maîtres nous l'ont enseignée est bien morte, l'esprit moderne clinique ne l'est pas, bien au contraire.» L'esprit clinique «se trouve aujourd'hui à l'orée de plusieurs chemins qui partent et arrivent à la médecine: l'économie, l'éthique et la technologie. Il doit y trouver sa place». Il n'existe donc pas «de mort de la clinique, même si l'examen au lit du malade paraît moins consciencieux aujourd'hui qu'hier».
Le radiologue, collectionneur de livres anciens de médecine, distingue, au long de son ouvrage, les grandes périodes qui en ont marqué l'évolution. «Du temps d'Hippocrate, l'examen clinique, essentiellement passif et fondé sur l'observation du malade et de son environnement, ne permettait, en l'absence d'un traitement efficace, qu'une évaluation pronostique», explique-t-il . L'examen «était un but avant d'être un moyen au service du médecin».
Le renouveau de la médecine clinique telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui «est, selon l'auteur, contemporain de la découverte de la méthode anatomoclinique» qui «fut l'oeuvre d'un homme, Jean-Baptiste Morgagni» (1682-1771).
«Pendant longtemps, estime le médecin écrivain, on s'est dit que l'imagerie donnerait toutes les réponses. Mais, finalement, l'examen clinique reste à la base de tout. Avant, le patient allait voir le médecin quand sa pathologie avait atteint un stade avancé. Le diagnostic était finalement plus facile, alors que nous sommes maintenant dans l'ère de la pathologie du dépistage. On s'adresse désormais à des patients qui viennent sans symptômes. J'étais parti avec l'idée qu'il y avait aujourd'hui peu d'examens cliniques, alors qu'en fait, il s'est recentré sur l'interrogatoire. Il reste le point de départ et le résumé de tout diagnostic. C'est lui qui a le dernier mot.»
L'examen des spécialistes.
L'examen clinique ne serait donc pas mort mais différent. «Il s'est enrichi. Et puis il s'est recentré sur le malade aussi. Il a perdu de sa globalité, mais le médecin s'attarde plus sur les symptômes, sur la plainte du patient.» Palpation, percussion, auscultation… auraient perdu, elles, de leur valeur, peut-être. La faute à qui ? La «faute» (ou la cause) à tous les protagonistes, ou presque. «Aux “techniciens” auxquels on peut reprocher parfois la même prétention que chez ces médecins d'hier qui délaissaient aux barbiers le contact avec le corps de l'autre? Aux malades qui rejettent la main et l'oreille du médecin qui leur semblent archaïques à l'heure de l'IRM et de la microbiologie? A la société qui fait tendre vers le risque zéro?» Mais il est clair «qu'on ne peut plus demander à un généraliste de passer le même temps sur l'examen clinique que Trousseau y consacrait, n'ayant que cela entre les mains. Je crois, par ailleurs, que c'est l'examen clinique des spécialistes qui, lui, s'est considérablement développé».
« L'examen clinique à travers l'histoire », de Jean-François Hutin, Editions Glyphe, 28 euros.
Des prémices
Les prémices de l'examen clinique datent d'Hippocrate. En s'écartant des chamans, sorciers et prêtres d'autrefois, il a fondé la pratique de la médecine sur l'approche du malade, en prenant en compte son lieu géographique, son milieu familial. Il pratiquait, par exemple, le toucher pelvien, regardait la gorge. «A l'époque, l'examen clinique était appris par compagnonnage, du maître aux élèves. Puis, cette pratique a été abandonnée pendant le Moyen Age, notamment sous l'effet du christianisme et de la régression des médecins laïques qui délivraient des diagnostics ne débouchant sur aucun traitement sérieux. Leur principal titre de gloire était de ne pas se tromper dans le pronostic», indique le Pr Hoerni.
La médecine d'observation a primé jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. L'examen clinique ne s'est développé qu'au XIXe siècle, grâce à la méthode anatomoclinique de l'Italien nommé Morgagni. «Celui-ci a commencé dès 1750 à examiner les malades en vie et à leur ouvrir la panse, après leur mort, pour observer la confrontation anatomoclinique», note le Pr Hoerni. Ensuite, Laennec met au point l'auscultation avec le stéthoscope (1816) et Corvisart traduit en français le livre du Viennois Avenbrugger sur la percussion.
En France, les médecins se sont rendu compte qu' «il était bon d'examiner un malade en lui demandant de se déshabiller (pour les certificats prénuptiaux, par exemple) . Durant la seconde moitié du XIXesiècle, les médecins étaient ainsi invités à déshabiller les fiancés (hommes) . Quant aux futures promises au mariage –pour respecter leur pudeur–, le médecin ne pouvait les déshabiller, sauf s'il soupçonnait un problème de santé», confie le Pr Hoerni.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature