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C 'EST peut-être un ver encore quelque peu « énigmatique », nommé Spriggina, qui aurait bénéficié du premier cerveau, il y a près de 700 millions d'années.
Il est certain en tout cas que les cerveaux étaient largement répandus dans différents groupes animaux entre 600 et 550 millions d'années avant notre ère, affirme Daniel Goujet, paléontologue, l'un des nombreux auteurs d'un livre intitulé « Mille cerveaux, mille mondes ».
Depuis cette date, les cerveaux n'ont pas cessé de se manifester avec éclat et diversité dans toutes sortes d'espèces animales : les boîtes crâniennes des vertébrés en portent la trace, étudiée avec minutie par le biais des moulages endocrâniens.
Gros ou petits, suivant des plans de construction variés adaptés aux mollusques, aux aux arthropodes ou aux vertébrés, les cerveaux ont beaucoup en commun : tous constitués de neurones et de glie, ils consomment de l'énergie en permanence ; tous ont le même fonctionnement électrique, fondé sur des neurones travaillant en réseaux ; tous se développent selon le même schéma. Evidemment, les fonctions s'affinent singulièrement, depuis les rotifères chers à Van Leeuwenhoek, l'inventeur du microscope, qui a fait d'eux un objet d'étude privilégié tant ces minuscules animaux pullulent « partout où il y a de l'eau », jusqu'à l'homme. « Extraordinaires modèles miniaturisés d'animaux complexes », les rotifères possèdent un cerveau d'une taille tout à fait honorable, capable de les diriger vers la lumière et la nourriture.
La mouche déjà plus complexe
La vision se complexifie certes avec la mouche ou le poisson rouge, l'olfaction avec le crotale, l'apprentissage avec la seiche, l'audition avec les cétacés, le tact avec les taupes. Beaucoup d'autres animaux manifestent des comportements qui témoignent des capacités spécifiques des différents cerveaux animaux : ainsi les pigeons sont-ils pourvus d'une « remarquable mémoire visuelle » ; les singes apparaissent beaucoup plus rapides que les humains dans leurs réponses à des stimuli visuels ; les crabes en mouvement dans l'eau ou sur les rochers font montre d'une singulière adaptation au milieu où ils se déplacent et les poulpes de Méditerranée en ont beaucoup appris aux chercheurs sur les apprentissages sociaux.
Toutes les disciplines convoquées au chevet du cerveau ont certes accumulé des merveilles de connaissances sur le cerveau et son fonctionnement, ce qui n'empêche que bien des mystères demeurent : comme le souligne Pierre Buisseret pour finir, « les zones connues où l'on peut conduire une visite semblent bien peu de chose par rapport à l'immensité de ce qui est encore à découvrir dans ce domaine ».
C'est à un autre bout de la chaîne d'études sur le cerveau que se situe le livre de Robert Clarke : le journaliste et écrivain scientifique s'interroge sur des cerveaux humains bien particuliers, ceux qu'il appelle des « supercerveaux ». Lui aussi s'étonne tout d'abord du développement singulier du cerveau humain par rapport aux cerveaux des grands singes, de la puissance de cette « machine plus efficace que le plus puissant superordinateur qu'on pourra jamais concevoir », dont les quelque 100 milliards de neurones servent à « goûter la saveur d'un fruit, discuter philosophie, écouter de la musique, tout en étant conscient de ce qui se passe autour de nous ».
Mais parmi ces cerveaux humains déjà exceptionnels, il en est quelques-uns qui fonctionnent de façon quasiment prodigieuse. Robert Clarke promène donc ses lecteurs dans les pays étranges des enfants surdoués, des calculateurs prodiges, des idiots savants, des génies. C'est l'occasion de se pencher sur les cas exemplaires d'un Mozart, d'un Newton, d'un Picasso, d'un Darwin, d'un Einstein et de quelques prodiges moins connus, pour essayer de préciser le mode de fonctionnement de leurs cerveaux.
L'énigme du génie
L'exercice serait déjà fort intéressant, mais l'auteur ajoute à cette analyse un maximum de données fournies par différentes disciplines : psychologues, psychanalystes, neurologues, biologistes, linguistes, spécialistes de l'imagerie médicale, naturalistes ont en effet tous quelque chose à dire de ces supercerveaux. L'énigme demeure pourtant, en particulier en ce qui concerne les génies : à ce jour, personne n'a pu trouver dans leurs cerveaux le moindre « élément qui n'existerait pas dans celui des hommes ordinaires ». Tout juste peut-on dire que leur fonctionnement cérébral est différent de celui des autres et que peut-être, « le génie est un être d'une grande intelligence ». Il ne reste plus alors qu'à définir l'intelligence, ce qui est à tout le moins affaire délicate, compte tenu des « milliards d'éléments » qui la constituent.
La mémoire en est sûrement un élément essentiel, comme le souligne Robert Clarke. Et la mémoire est elle-même une étonnante faculté du cerveau, même lorsqu'elle est « normale », telle que la dissèque le Pr Jean Cambier, neurologue, dans un livre dont le petit format et la présentation didactique ne signifient pas simplification abusive. Les mémoires, puisqu'il en existe plusieurs, se dessinent, indissociables de la pensée, semblables à un muscle que l'on peut exercer, porteuses de vérités toujours reconstruites, tandis que l'oubli apparaît plus mystérieux encore.
En cherchant ce qui peut réellement différencier un cerveau d'homme d'un cerveau de femme, on aborde un univers encore presque opaque, qui n'a pas fait reculer Doreen Kimura, une psychologue et universitaire américaine. Quoi de plus difficile en effet que de déterminer avec certitude ce qui revient à la biologie, à la culture, à l'éducation dans les différences effectives relevées entre les deux cerveaux et les deux types de comportements. C'est encore l'endocrinologie qui fournit les données les plus sûres concernant en particulier les aptitudes spatiales et le raisonnement mathématique - plus développés chez les hommes -, les aptitudes verbales ou la dextérité motrice - plus développées chez les femmes. La recherche d'éléments objectifs ouvrant sur un traitement juste, sinon égalitaire des hommes et des femmes reste donc ouverte. Tout comme demeure immense le champ qui s'ouvre aux explorateurs du cerveau.
« Mille cerveaux, mille mondes », textes rassemblés et publiés sous la direction de Pierre Buisseret, éditions Nathan, coédité avec le Muséum d'histoire naturelle, 160 pages, 135 F.
« Supercerveaux », Robert Clarke, PUF, Science, histoire et société, 225 pages, 98 F.
« Cerveau d'homme, cerveau de femme ? », Doreen Kimura, éditions Odile Jacob, 247 pages, 175 F.
« La mémoire », Jean Cambier, Le Cavalier Bleu éditions, 126 pages.
« Ces émotions qui nous fabriquent », Vinciane Despret, Les empêcheurs de penser en rond, 5, rue d'Enghien, 75010 Paris, 360 pages, 98 F.
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