Le généraliste au coeur du dispositif

Le plan pandémie grippe

Publié le 15/09/2004
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A LA REUNION annuelle du Geig, le Dr Paule Deutsch (Direction générale de la santé, sous-direction de la prévention générale) a présenté les grands principes, les objectifs et les moyens du plan pandémique grippe. « A toutes les étapes d'une éventuelle pandémie, le généraliste restera la pierre angulaire du dispositif national des soins », explique-t-elle au « Quotidien ». « C'est à lui, en effet, que reviendra la prise en charge des cas suspects avec la réalisation de prélèvements viraux, le suivi des cas non compliqués à domicile et la régulation, par le biais du centre 15, des recours aux structures hospitalières pour les cas les plus graves. »
La survenue d'une pandémie grippale peut être découpée en trois grandes phases : la phase 0, préépidémique, qui débute à partir du moment où une épizootie mettant en jeu des virus animaux hautement pathogènes est détectée à n'importe quel endroit du monde et qui s'achève lorsque des cas de transmission interhumaine sont détectés ; la phase 1 qui signe le début de la pandémie mondiale et la phase 2 qui correspond à la diffusion généralisée du virus.

Phase 0.
La phase zéro comporte quatre niveaux :
- niveau 0 : existence d'une épizootie en rapport avec un virus hautement pathogène à un endroit quelconque du globe, sans qu'aucun cas humain n'ait été détecté. L'objectif des mesures mises en place par les autorités sanitaires françaises vise à éviter le passage du virus de l'animal à l'homme et à éviter ou à contenir l'épizootie en France. Pour cela, il est recommandé d'adopter des mesures de lutte contre la diffusion virale dans les élevages (abattage ; éventuellement vaccination) et de promouvoir la protection des personnes travaillant au contact d'animaux potentiellement infectés (hygiène très stricte, port de masque, prophylaxie et traitement par antiviraux si nécessaire, vaccination contre les souches grippales habituelles pour éviter les possibilités de recombinaison virale chez un sujet coïnfecté et, si le vaccin contre la souche pandémique est disponible, vaccination spécifique) ;
- niveau 1 : détection d'un seul cas humain de grippe en rapport avec un virus animal hautement pathogène. Si ce cas survient hors de France, les mesures adoptées viseront à éviter l'introduction de l'épizootie dans notre pays. S'il est français, tout sera mis en œuvre pour éviter la transmission virale et pour détecter de façon précoce les autres cas. « Outre les mesures déjà évoquées en cas d'épizootie, l'existence d'un cas humain inciterait au renforcement de la surveillance virale et à la mise en place de campagnes d'information destinées en priorité aux médecins généralistes », explique le Dr Deutsch ;
- niveau 2 : décrété dès que le nombre des cas humains dépassera deux sans, néanmoins, qu'il existe de preuve de contamination interhumaine. Les mesures envisagées visent à prévenir l'introduction de la maladie en France si les cas sont survenus à l'étranger et, dans l'hypothèse de malades français, à détecter précocement les autres cas et à éviter les transmissions interhumaines. Outre le renforcement des mesures d'information vis-à-vis des médecins et des professionnels de santé, des campagnes de sensibilisation du grand public et des voyageurs seraient mises en place. « Dans ce contexte, les médecins généralistes seraient appelés à prendre en charge les cas suspects, en prenant bien soin de les laisser à domicile afin d'éviter les possibles contagions en salle d'attente. Après évaluation par les centres 15 et les cellules régionales d'évaluation de l'InVS, un généraliste équipé de kits de prélèvement et de protections sera adressé au domicile du cas suspect afin de procéder à un prélèvement viral. Ce sera ensuite au centre 15 d'organiser le transport de ces prélèvements vers des laboratoires spécialisés », ajoute le Dr Deutsch ;
- niveau 3 : décrété si la transmission interhumaine du virus est confirmée. Une organisation régionale et nationale de crise sera mise en place. Restriction des voyages, fermeture des écoles, annulation de manifestations publiques et isolement des voyageurs à l'entrée du territoire pourront être envisagés. Sur le plan local, une stratégie d'organisation de la prise en charge des malades devra être définie. « Là encore, le généraliste joue un rôle clé. Tous les sujets potentiellement infectés - c'est-à-dire présentant des signes cliniques faisant évoquer un diagnostic de grippe - seront appelés à contacter les centres 15 et à éviter absolument de se rendre dans les cabinets médicaux ou dans les services d'urgence hospitaliers. C'est le centre 15 qui dépêchera au domicile des patients un médecin généraliste équipé de moyens de protection et qui sera soumis à un traitement prophylactique. »

Phases 1 et 2 : la pandémie.
Toutes les mesures prises en période pandémique devront permettre de gagner du temps sur la maladie, d'éviter la désorganisation de la société et de limiter les phénomènes de panique. « L'InVS a estimé que, en France, une pandémie mondiale se traduirait par 9 à 21 millions de malades, par 450 000 à 1 100 000 hospitalisations et par 100 000 à 300 000 décès. L'organisation des soins sera alors fondée sur une prise en charge à domicile par des médecins généralistes des cas non compliqués. L'existence de critères de gravité prédéfinis et diffusés aux praticiens devra conduire à un appel au centre 15 qui dépêchera les moyens nécessaires à une hospitalisation directement dans un service dédié », explique le Dr Deutsch. Les autorités sanitaires ont pris en compte le danger d'épuisement du personnel soignant et elles ont envisagé de faire appel, dans ces circonstance, aux médecins retraités ou à des praticiens exerçant d'autres spécialités médicales (médecins scolaires, du travail...).

Vaccination : l'ordre des priorités.
En complément de la réalisation de ce plan, le Cshpf (Comité supérieur d'hygiène publique de France) a été consulté pour donner son avis sur les points qui pourraient poser des problèmes pratiques de réalisation. C'est le cas par exemple de la vaccination. Dans l'hypothèse où un vaccin contre le virus grippal serait disponible, le Cshpf a défini un ordre de priorité vaccinale : les professionnels de santé nécessaires à l'organisation des soins (soit 2 millions de personnes) seraient vaccinés les premiers, puis suivrait le million de personnes clés de l'Etat (décideurs, pompiers, police, pompes funèbres...), puis les personnes à haut risque de complication sévère, voire fatale (sujets atteints de maladies chroniques, enfants de la naissance à 2 ans, femmes enceintes...), puis les 13 millions de jeunes Français ; suivront les 30 millions d'adultes actifs et, enfin, les adultes inactifs.
Le Cshpf a aussi défini un ordre de priorité pour l'utilisation des antiviraux. En France, un stock d'oseltamivir a été constitué depuis 2003. Ce médicament pourrait se révéler efficace pour la prophylaxie et le traitement précoce de la maladie. Mais les capacités de production de cette molécule restent limitées et sa durée de vie est courte (de trois à quatre ans). Actuellement, la France dispose d'un stock de précaution de produit fini et de produit non conditionné (en barils de 7 kg), qu'il faudrait reconstituer en urgence si une épidémie survenait. Le Cshpf a conseillé d'utiliser en priorité cette molécule pour le traitement curatif des malades (en premier lieu ceux à risque de complications, puis l'ensemble des autres patients). La prophylaxie postexposition sera envisagée en deuxième lieu et la prophylaxie prolongée du personnel de soins sera entreprise si les quantités de médicament disponibles sont suffisantes.

Masques.
Enfin, les moyens mécaniques de protection ont aussi été évoqués. Les patients pourraient utiliser des masques chirurgicaux afin d'éviter les projections de gouttelettes infectantes. Pour les professionnels de santé et l'entourage, des masques spécifiques haute protection devraient être utilisés. « Mais, à l'heure actuelle, ces masques dits FFP2, ne sont produits que de façon limitée (32 millions par an en France). Or, en période pandémique, 280 millions de masques seraient nécessaires pour la seule protection du personnel de santé », analyse le Dr Deutsch.
Pour le Dr Anna Maria Brugière (Institut Pasteur, Paris), « nous sommes actuellement en phase 0 niveau 2 ; il devient donc urgent de se donner tous les moyens de disposer le moment venu de toutes les possibilités de lutte ».

Bruxelles. Réunion annuelle du groupe d'étude et d'information sur la grippe.

> Dr ISABELLE CATALA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7591