De notre envoyé spécial à Bordeaux
La situation ne manquait pas de piquant : Alain Juppé et Jacques Barrot assis à la même table, à nouveau dans dans le même bateau, pour tirer le bilan, plus de cinq ans après les ordonnances Juppé-Barrot de 1996.
C'était à Bordeaux, sur les terres de l'ancien Premier ministre, lors du séminaire annuel des unions régionales des caisses d'assurance-maladie (URCAM) consacré à la « gestion du risque ».
Pour l'ancien Premier ministre, « beaucoup de principes restent aujourd'hui valables, le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale par le Parlement, l'accréditation, dont le processus est bien lancé, la contractualisation, la régionalisation, etc. ». Ce qui a « mis le feu aux poudres », ce sont les mesures prises en urgence, et notamment le système de régulation des dépenses appliqué aux médecins libéraux (reversements d'honoraires en cas de dépassement des objectifs fixés). « Même si le mécanisme n'a jamais été appliqué, les pénalités ont été ressenties comme une sanction injuste, brutale et, sur ce point, j'ai eu tort de m'obstiner, peut-être, admet Alain Juppé, qui n'en finit plus de faire son mea culpa.Mais la suite du plan Juppé reste ouverte. »
Les reversements et le reste
Jacques Barrot, ministre des Affaires sociales de l'époque, ne dit pas autre chose, quelques minutes plus tard, évoquant « un grand chantier inachevé ».« Je n'ai pas à rougir de ce que j'ai fait, explique-t-il . Ce qui a manqué, c'est l'accélération de la mise en uvre du plan Juppé. Il aurait fallu jouer à fond la carte des URCAM, des ARH (agences régionales de l'hospitalisation) , les outils auraient dû être développés plus vite. Ce qui a beaucoup gêné nos affaires, c'est la régulation collective dont je suis l'architecte d'exécution. L'idée était de gérer le risque avec deux principes : la régionalisation et l'adhésion des médecins. »
La focalisation extrême sur le système de maîtrise des dépenses en médecine de ville a jeté un discrédit général sur la réforme de 1996. Et malgré l'hostilité d'une majorité écrasante de médecins, force est de constater que le « plan Juppé » trouve aujourd'hui de nombreux avocats, à droite comme à gauche, et même dans le monde de la santé.
« Le plan Juppé n'était pas si mauvais que ça, et il le sait bien ! », reconnaît Jean-Jacques Denis, député socialiste de Meurthe-et-Moselle (54), et rapporteur de la loi de modernisation du système de santé. A côté de lui, Alain Juppé sourit : « J'aimerais quand même bien qu'on me le dise plus souvent. » Quant à Jean-Marie Le Guen, député socialiste de Paris, président du conseil de surveillance de la CNAM, il reconnaît que la tentative de maîtrise macro-économique de la santé ne s'est pas arrêtée après le départ d'Alain Juppé. « La régulation de la médecine ambulatoire, ça a existé et ça a été poursuivi ensuite. C'est une utopie de la vision administrative de la santé partagée à droite et à gauche. On est même allé au bout de ce système limité. »
Au-delà du constat d'échec partagé sur le mode de la maîtrise des dépenses, l'évolution la plus marquante introduite par le plan Juppé est sans doute la prise en compte de la dimension collective de la santé par l'ensemble des acteurs, dans le cadre d'une approche régionale. Pour Rémy Fromentin, président de la conférence des directeurs d'URCAM, « la régulation économique n'est que la partie visible de l'iceberg ».
Si les URCAM peinent à faire entendre leur voix, les ARH, autres enfants du plan Juppé, semblent clairement identifiées au bout de cinq ans d'existence. « Leur ancrage dans le paysage hospitalier est indéniable, assure le Dr Alain Garcia, président de la conférence des directeurs d'ARH. On va à l'agence régionale quand, avant, on montait à Paris. »
Au banc des accusés
Dans le domaine de la médecine ambulatoire, le plan Juppé laisse un goût amer à l'ancien Premier ministre. « L'opération de généralisation du carnet de santé a été sabotée, la formation médicale continue a pris beaucoup de retard », regrette-t-il, avant de noter que « l'évaluation est désormais admise par le corps médical car il y a des actes médicaux utiles et inutiles ».
Pour le Dr Patrick Brezac, président de la conférence des présidents d'union régionale de médecins libéraux, « encore faut-il que la médecine de ville ne soit pas mise au banc des accusés et que les médecins libéraux ne soient pas traités de petits délinquants ».
La réforme de l'assurance-maladie reste également à écrire. Et les pistes avancées par les différents participants réservent quelques surprises. C'est un parlementaire socialiste, Jean-Marie Le Guen, qui, le premier, évoque la nécessité de « formes de concurrence dans un marché socialisé ». Jacques Barrot, quant à lui, estime que « la seule solution, c'est le panier de soins et la volonté du peuple qui décide de mettre certains risques dans l'enveloppe du système obligatoire ».
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